Extrait du journal

Cher monsieur, Le Jour s’est intéressé aux blessés du 6 février, dont il a dit les misères, car beaucoup souffrent encore, éclopés, mutilés, quelques-uns mourants. Or, en vous quittant, et comme je rentrais chez moi, j’ai trouvé un blessé du 6 février qui m’attendait... J’en reçois dix par jour, plus ou moins abîmés... Celui-ci se présente au garde à vous : Laurona Jean, ancien caporal du 74e d'infanterie, deux blessures, deux citations, proposé pour la médaille militaire... Son bras gauche pend, inerte : c J’ai été matraqué et jeté par terre avec une telle brutalité, me dit-il, que les deux os de mon avantbras ont été brisés en plusieurs endroits... La fracture était si grave qu’on a dû me raccommoder les os avec des chevilles comme celle-ci... a. Il me tend un morceau de fer de quatre centimètres percé de trous. « D’ailleurs, voici le certificat du docteur Bazy, de l’hôpital Saint-Louis... Que puis-je faire ? De mon métier je suis garçon d’hôtel. Je suis marié. J’ai travaillé dans les meilleurs établissements, mais un garçon d’hôtel a besoin de ses deux bras ! Alors je suis allé à la préfecture de police pour un secours. Là un petit secrétaire chevelu m’a traité comme un criminel et m’a déclaré en me mettant à la porte : « Vous n’aviez pas besoin d'être là ! »...