Extrait du journal

Saint-Martial avait cinquante-quatre ans sonnés. A cet âge où l'on aime ses aises, la perspective de coucher dans une hasardeuse auberge n'a rien de réjouissant; aussi l'information du cocher le mit-elle de méchante humeur. Il espérait gagner avant la nuit la Trappe de Fontgombault, où il avait projeté de faire une retraite, et ce malencontreux incident l'irrita. — Saint-Martial était un désenchanté. Fin et délicat lettré, il avait, comme tant d'autres, en sa jeunesse, rêvé la gloire littéraire et tout d'abord le théâtre l'avait tenté. Ses pièces n'ayant eu qu'un succès d'estime, il s'était, après la guerre de 1870, laissé glisser dans la politique. Pendant vingt ans, il avait siégé comme député au Palais-Bourbon ; puis, dégoûté de la cuisine électorale, écœuré par le spectacle des tripotages, des compromissions et des transactions louches, il était sorti de la vie parlementaire en un complet désarroi intellectuel et moral. Il avait vidé jusqu'au fond le breuvage amer des renoncements et ne savait plus où se prendre. Pendant ces heures de dépression où l'on semble avoir perdu le goût de vivre, les souvenirs d'une enfance pieuse lui étaient remontés au cerveau et il s'était raccroché aux idées religieuses comme à une planche de salut. C'est pourquoi, par ce soir d'octobre, il se dirigeait vers la Trappe de Fontgombault, dont l'abbé était de ses amis et où une maison hospitalière, annexée à l'abbaye, offrait à quelques désillusionnés semblables à lui la paix bienfaisante d'une retraite moitié laïque, moitié claustrale....