Extrait du journal

Pont de Rouen ; ancienne commerçante au détail, retirée après fortune faite, veuve, et depuis un an châtelaine par l'acquisition de ce vieux pavillon d'Ecrainville, décoré depuis lors du beau nom de château. L'autre, prétentieuse -et, minable dans une robe de soie retapée et reteinte, rajeunie çà et là de volants de dentelle, était une veuve ruinée, Mme Boismantel, amie pauvre, invitée à tenir compagnie à la dame d'Ecrainville et trop heureuse de réaliser encore une économie dans le lugubre ennui d'un quinteux tête-à-tête. Mme Engrand passait, en effet, maintenant ses étés au château ; elle ne rentrait plus à Rouen qu'en novembre ; depuis qu'elle avait un domaine, elle ne concevait pas qu'on pût prendre avant la Toussaint ses quartiers d'hiver ; elle passait même les fêtes à la campagne ; Mme Boismantel, nourrie les trois quarts de l'année à la table de son amie, n'avait pu décemment se dérober à la corvée d'une villégiature prolongée, par ce pluvieux octobre, dans ce vieux colombier isolé d'Ecrainvillè, maintenant que la ci-devant mercière s'y attardait, esclave du bon ton. Les deux femmes avaient bien leurs familles inhumées dans les cimetières de Rouen, mais les morts importaient bien à ces deux dames. Le feu flambait haut et clair dans le petit salon Louis XVI, elles avaient toutes les deux les pieds chauds, l'estomac tiré par un commencement d'appétit, le cœur frais et le cerveau libre. Elles tricotaient donc silencieuses, à leur aise, attendant l'heure de se mettre à table et la venue du curé d'Ecrainville, qui dînait ce soirlà au château....