Extrait du journal

Quoi qu'il en soit, Rodin réunit aussitôt tous les documents iconographiques et littéraires qui peuvent l'aider dans l'accomplissement de la tâche qui lui est — ah ! si inexplicablement — confiée ! Lui seul ne s'étonne pas, car il ignore ce que c'est que la Société des gens de lettres, et, candidement, il croit qu'il y a des gens de lettres dans une Société qui s'intitule pompeusement Société des gens de lettres. Il étudie donc ces documents, les compare, s'en imprègne l'esprit. Avec passion, il relit les livres de Balzac, compulse tout ce qui fut écrit d'important sur lui. Il ne se contente pas de cela. Il va passer deux étés dans cette claire et joyeuse Touraine où Balzac a vécu ; il revoit les lieux qu'il habita, interroge les vieilles gens qui le connurent, ressuscite tous les souvenirs que laissa, là-bas, l'immortel et colossal auteur de la Comédie humaine. Car, n'ayant pas, sous les yeux, le modèle vivant, il s'agit pour l'artiste, non d'une ressemblance photographique, mais de quelque chose de plus grand, de plus vrai; d'une interprétation, l'interprétation humaine d'un génie par un autre génie. La statue sera, en quelque sorte, la synthèse de l'œuvre formidable par l'homme ; par la ligne simple, grandiose et triomphale, par la forme belle et serrée, il faut arriver à exprimer l'apothéose de cette puissance douloureuse, tourmentée et dominatrice que fut Balzac....