Extrait du journal

Aussitôt que l'on arrive dans la zone affamée un malaise indéfinissable s'empare de vous, l'immense pitié que vous ressentez pour les malheureux qui vous implorent bouleverse tout votre être et le spectacle que vous avez sous les yeux est tellement affolant que le frisson de la peur vous rend prudent, inquiet. Toutes les personnes débarquant pour la première fois du côté de la Volga ressentent ces impressions troublantes dues au voisinage de la mort qui vous guette et qui, dans le moment même où vous circulez, fait des victimes autour de vous. Dans les gares, le spectacle est pitoyable. Des soldats rouges envoyés de Moscou sont obligés de protéger à leur passage les wagons de voyàgeurs afin d'empêcher qu'ils ne soient envahis par des nuées d'enfants si maigres que l'on s'étonne de ne pas les voir tomber d'inaniti-on et qui, durant l'arrêt du train, demandent sur le même ton plaintif : « Du pain, mon petit père, du pain pour l'amour de Dieu. » Des femmes se trouvent quelquefois avec les enfants ; elles ont vieilli si vite et si prématurément qu'elles n'ont plus d'âge. Dans les gares, vous voyez aussi, parfois, des corps étendus sur les dalles; ce, sont des agonisants ou des cadavres et l'on passe à côté d'eux sans même leur jeter un regard tant on est habitué dans ces parages au tableau de la mort....