Extrait du journal

Les gosses de Paris, si délicieusement croqués par Poulbot, jouent souvent à la guerre. Malicieux faubouriens, brandissant des sabres de bois, chevauchant des montures imaginaires, ou, le bras en écharpe, se faisant docilement soigner par de petites « croix-rouge », ils imitent des scènes de guerre aperçues à la vitrine du libraire, ou mettent en action les combats contés par leur père, pendant sa per mission. Dans les villages tout proches de la ligne de feu, où le Poilu vient passer quelques jours de « rafraîchissement », les gosses ont des jeux différents ; la vie des Poilus se mêle à la leur; ils les regardent, curieusement, se livrer à leurs multiples occupations : nettoyages, corvées, revues; le soir, quand l’ami de la maison vient bavarder avec la grande sœur, ils l’écoutent, bouche bée, narrer les péripéties de son existence. Le contact des guerriers n’a pas été sans influence sur les jeux nouveaux des gosses du village. Mais est-ce parce que leur imagination est moins vive que celle des petits Parisiens, ou est-ce parce que, quotidiennement, ils assistent à des scènes qui peuvent servir de thème à leurs jeux, les gosses du village, eux, pour jouer à la guerre, ne se livrent pas aux mêmes ébats que les gosses de Paris. Voici, notamment, une scène authentique qui amusa beau coup les Poilus qui en furent spectateurs à M.... Un groupe d’enfants, gamins et fillettes, dont le plus âgé est une fille qui a moins de neuf ans, s’ébattent autour de balles de paille entassées devant le siège du ravitaille ment. Essoufflés, la figure maculée de sueur et barbouillée de confitures, quelques-uns réclament un autre jeu. Alors la petite blonde qui dirige leurs distractions, se place au milieu de la rue, et s’écrie, avec autant de gravité qu un sergent-major de service : « Rassemblement autour de moi, J vais passer une revue de masques. » Les gosses, docilement, se placent en rond, et, tirant sur la bandoulière qui soutient leur masque protecteur contre les gaz, ils présentent le sachet d’étoffe. Le « chef » aux jupes courtes commande : « Garde à vous ! )) ; tous les mioches, sérieux comme des Poilus que le généralissime lui-même passerait en revue, s efforcent d al longer les bras le long du corps....