Extrait du journal

instant, de promener à travers la fête un char commémoratif de ce léger ef fort; mais nous avons appris, à Nancy, que c’était un mythe, une pure légende. C’est M. Thiers lui-même qui a tiré les quarante-trois milliards de sa poche, et, comme il n’en fallait que cinq ou six, il a généreusement distribué le reste entre les victimes de l’invasion. Peut-être n’est-il pas très républicain, ni même très patriotique, ni, à tout prendre, absolument juste d’humilier ainsi toute une nation devant un seul homme, si providentiel qu’on le suppose; mais chacun sait que M. Thiers est mort, et non-seulement on peut se per mettre quelque licence dans une oraison funèbre, mais il est facile de compren dre qu’en cette circonstance la gloire du mort n’offusque pas les vivants, elle les sert! C’est eux-mêmes qu’ils fêtent et qu’ils honorent en lui. Les personnages, plus ou moins répu blicains, qui se sont donné rendez-vous aux fêtes de Nancy, pour inaugurer la statue de M. Thiers, y ont apporté des sentiments très divers et des préoccupa tions très personnelles; mais ils ont cer tainement poursuivi un même but, qui est de se faire valoir à l’ombre du grand homme et de se partager son héritage. Remarquez que c’est la note dominante : ils se proclament tous ses héritiers, ses amis, ses élèves, ses confidents ; et la ré publique elle-même reconnaît qu’elle est sortie tout armée de son cerveau. Lui disparu, il semble qu’elle ait besoin d’un second baptême, et elle s’en va le cher cher aux pieds de sa statue. Elle exploite la statue comme elle a naguère exploité le cadavre; elle tire parti de l’inaugura tion comme elle a tiré parti des obsè ques ; dans toutes les pompes dont M. Thiers est le héros, les républicains quêtent et réclament pour la république. Aussi bien l’étiquette est toujours la même : « Conservatrice !» dit M. Lopôre. «Conservatrice! » dit M. Jules Simon, et l’on croit voir s’agiter la statue comme dans la comédie de Molière. Ce qui la fait tressaillir ainsi, c’est la hardiesse de ces invocations ; c’est l’hypocrisie de ces témoignages; c’est ce perpétuel or a pro nobis que lui chantent du bout des lèvres tous ces inventeurs da litanies. Qui diable aurait pu croire qu’on aurait pu tailler tant d’habits d’arlequin dans la petite redingote de M. Thiers ? Et qui diable aussi se serait jamais figuré que M. Lepôre parlerait de république con servatrice comme M. Jules Simon? Con servatrice! N’insistez pas, de grâce, ou la statue va parler !...