Extrait du journal

dé bientôt chez Gaston une admiration sans bor nes. La beauté de la jeune femme, son œil fier, le ton impérieux dont elle commandait à cet espèce de fakir, sous les ordres duquel agissait toute une armée d'esclaves aux costumes bariolés, toute cette mise en scène étrange au suprême degré, sous le ciel nuageux de Paris en décembre, avait causé à d’Arteville une émotion qu’il ne put maîtriser, et qui , comme toutes celles qui s'incrustent dans l’âme d'une façon profonde, ne faisait que s’ac croître d'heure en heure. Durant la présence de l’inconnue, d’Arteville, on doit se le rajtpeler, n’avait échangé que quel ques paroles insignifiantes avec Durouget et de Chambly, manifestant par elles un grand étonne ment, mais se gardant bien d’y laisser percer l’é motion qui s’infiltrait dans son cœur. Il avait pu pendant le retour, grâce à la gravité des événements, laisser Sanchez et Durouget à leurs réflexions personnelles et suivre avec en chantement. le cours de ses propres pensées. L’entrevue de la marquise et de son fils, ainsi que l’explication qui avait eu lieu sur les causes de la rencontre, avaient fait diversion dans son esprit. Mais après que Durouget l’eût quitté, Gas ton se replongea complètement dans l’enivrement plein de stupeur dont il sentait depuis quelques heures les angoureuses étreintes. — Le diable m’emporte! je suis amoureux ! se dit-il d’abord eu riant intérieurement d’avoir fait cette étrange découverte. Oui, amoureux comme à vingt ans. Ce n'est pas possible. Et comme nous l’avons dit, il se pinça, afin de s’assurer si tout ce qui l’occupait était réel. Puis, ainsi que Georges de Mau range l’avait fait le ma tin même, il se demanda : — Quelle peut être cette femme? Inutile d’ajouter que, comme Georges, après avoir épuisé le vaste champ des suppositions, même les plus improbables, il ne put résoudre la question. Aussi entra-t-il au cercle avec un air grave qui frappa tous ceux qui le virent. Pendant le dîner, il fut silencieux, ce qui jus qu’alors ne lui était jamais arrivé, et, dès qu’un servit la café, il se blottit dans un grand fauteuil et prit à tâche de s'isoler au milieu des autres,...