Extrait du journal

Une survie qui, en bien des cas, ne laisse pas que de devenir assez vite illu soire. L'inscription acceptée par une génération ,ne tarde pas à être une énigme pour les autres. Si on parcourt un indicateur des rues de Paris, on est frappé du nombre considérable de noms qui ne signifient plus rien pour nous et qui, forcément, devaient être sans signification pour l'avenir. Parfois, c'est fortuitement, par suite d'une ho monymie, que des noms ont repris un sens, comme la cour de Mars, qui ne fut point d'abord dédiée à l'ombre de Mlle Mars ; comme l'impasse Bourgoin, qui n'évoquait pas la tragédienne, ou le passage Boudin, beaucoup plus ancien que le peintre dont les toiles, dans leur lumière grise, reflètent harmonieuse ment les horizons marins. On avait souhaité une sorte de justi fication du droit à baptiser une rue par un souvenir brièvement retracé, par une date, par une mention, si sommaire qu'elle fût. Cette idée avait même reçu un commencement d'exécution, mais peut-être se trouva-t-on embarrassé plus par la difficulté de ces explications, ris quant de paraître trop pauvres, que par des raisons matérielles. Il est évidemment difficile qu'il n'y ait pas un peu d'arbitraire dans ces désigna tions. On est, d'aventure, poussé par des courants d'opinion, voire par des re tours d'actualité. C'est beaucoup qu'on se soit décidé à un peu moins de hâte, qu'on ait imposé des délais à ces attri butions. Mais comment demander à des hommes, qui ont les passions de leur époque, de s'en abstraire entièrement et de s'éiever jusqu'à une telle philosophie que, prévoyant la destinée d'un nom, ' ils puissent ne décerner cet honneur qu'avec une équité supérieure ? Ne som mes-nous pas conduits à juger le passé, non d'après ce qu'il a été, mais d'après nos propres sentiments? Et, d'ailleurs, qui peut être certain de la durée d'une renommée ? Combien de fois n'avons nous pas vu le silence profond, voisin de l'oubli complet, se faire autour d'une réputation bruyante, et en si peu d'années !......