Extrait du journal

Inoubliable Fook-Yuen. Je devais, dans ces premières heures de nuit, parcourir ses ponts et ses cales gardées de grilles, comme des cages de fauves, où s'entassaient dans un mêli-mêlo ineffable, sur leurs nattes, leurs ballots, leurs coussins, dans leurs crèches, les coolies et les marchands de pidgincouyo, les étudiantes et les marnas en pantalons, les bonzes gris diseurs de chapelets, les bruyants joueurs de mah-jong juchés sur les coffres des coursives et les fumeurs silencieux repliés dans leurs couchettes étroites dont les portes entre-bâillées laissaient voir une grêle main d'ivoire, une face livide exsudant sa fumée ou, parfois, deux yeux d'émail noir accrochés à la petite flamme de la lampe et la reflétant. J'allai faire connaissance avec le compradore et les cuisiniers, découvrir à l'avant, dans un couloir clair, entre six autres, ma fraîche cabine, la passerelle vitrée où, pendant des jours, je devais voir, face aux cartes, l'œil sur le rapide et sur le pilote tout à la fois, Loréal, le capitaine courageux, guettant la roche traîtresse, le banc de brume, le tourbillon fatal ou la jonque imprudente. Enfin, j'allai reconnaître ma place au coin des amis où la femme, plus courageuse encore, de ce capitaine, la maîtresse de maison de ce bateau incomparable, l'alliée que toute la marine du Yang-Tsé j aime et respecte, nous donnera asile...