Extrait du journal

On s'écrase dans la salle aux tentures rouge sang de bœuf, que piquent de pacifiques abeilles d'or. La foule s'écrase, une foule sombre vestons des hommes, châles noirs des femmes, sur laquelle quelques légères coiffes de Lannion palpitent comme des papillons blancs.. Tout à coup, voici L'accusée. Elle paraît, haute et large, sous son long voile noir de veuve, la bouche- résolue et un peu dure, l'œil aigu sous la cmpote des lourdes paupières plisséeo. On a l'impression d'une force. Et c'est en rude jouteuse qu'elle soutint les questions harcelantes du long interrogatoire. la cruelle humiliation de sa vie, brutalement dévoilée devant un auditoire que, naguère, vaine de son rang et de sa fortune, elle eût dominé avec tant de hauteur. Pourtant, rien ne jaillit d'elle qui puisse donner le frisson de la passion. Cela une amoureuse, une femme jalouse ? Est-ce possible ? Des larmes, oui. Mais on y sent plus de colère que de douleur. Le président, M. Marinier, conseiller à la cour de Rennes, moustache et monocle d'officier de cavalerie, mène il est vrai les débats à la hussarde, sans ménagements. D'une voix nette, claire, il retrace d'abord les antécédents de Louise Théolas, fille d'un tailleur, puis son mariage avec un patron tonnelier. Les larmes de l'accusée coulent d'abord sur ses joues flétries, puis la voix s'affermit lorsqu'elle revendique le droit d'avoir quitté sa famille pour devenir chanteuse. A qui ferez-vous croire, dit le président, que vous avez passé, pure et sans tache, dans tous ces cafés-concerts, ces beuglants de petites villes ?...