Extrait du journal

Depuis quinze ans son mari n’a fait que quelques portraits médioâcrement payés, il a décoré la salle à manger a un nouveau riche, et n’a pas gagné grand’close- Elle n’arrive pas à comprendre. Il est pourtant revenu de Borne comme de la Mecque. Que pouvait-il craindre ? Il possédait les Tables de la Loi. N’allait-il pas avoir des commandes, des médailles, des croix et l’Institut ? Il excellait dans le paysage et la figure et continuait la tradition hors de laquelle il ne saurait y avoir que l’aventure et le mal. Son prix de Borne était un sacrement, une ordination, inutile de chercher ailleurs, de se tourmenter. Il tenait la vérité des anciens dieux de la Peinture et de ses propres maîtres. Qu'était-il arrivé ? Qui donc avait trahi cet artiste qui savait son métier et à qui rien que de médiocre n’était venu ? Elle lit chaque jour que des jeunes peintres qui se moquaient de l’Ecole et de Borne, de l’Académie et de ses prix, vendaient jusqu’à cent mille francs une seule toile, que ce Cézanne qui, de l’avis de son mari, ne savait même pas dessiner une pomme, venait de faire à l’hôtel Drouot 400.000 francs avec un portrait esquissé, et elle ne comprend plus....