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Le Petit Troyen, 8 juin 1904

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Le Petit Troyen
8 juin 1904


Extrait du journal

A la Maison X..., fondée en 1863 J’ai reçu, il y a quelques jours, en com munication, une lettre de la maison X.. fondée en 1763, fort intéressante par l’état d’esprit qu elle révèle dans un certain monde du commerce et de l’industrie auquel dé plaît la politique de réformes sociales que je défends de mon mieux à la commission du travail de la Chambre, dans le Siècle et ail leurs. Notre honorable correspondant se plaint de Millerand, de Trouillot, de quelques-uns de mes collaboiateurs et de moi-même.. .de moi surtout ! et il écrit, sousoette forme que je respecte : « Fils de nos oeuvres, successeurs d'hon nêtes et petits industriels, les fondateurs de notre maison, en 1763, après une si longue période de travail, d’ordre et d’économie, bous sommes possesseurs aujourd’hui d’une honnête aisance et nous n’admettons pas 3uc l’on puisse songer à nous en déposséer au profit de fainéants et de gaspilleurs ; or, c’est à quoi tendent les articles de MM. Du bief et Massé, sans parler d’autres. » Je suis fort aise qu une maison nui a su faire preuve de travail, d’ordre et d’écono mie, comme le disent les heureux bénéfi ciaires de ces vertus, soit restée prospère, et 1e ne me croyais pas l’âme si noire que je es veuille déposséder de 1 honnête aisance bien acquise, au profit de « fainéants et de gaspilleurs. » Mais continuons : « Nous ne comprenons pas qu’on entrave la liberté du travail, au point que le fait la loi du 30 mars 1900. puisqu’elle empêche nos ouvriers ruraux (?) de travailler dix heures et demie, les cinq premiers jours de la semaine pour leur per mettre de s’en aller le samedi de bonne heure ; pour rentrer dans leur famille en ne faisant que soixante heures par semaine, toujours ! Quelle objection peuvent faire là MM. Du bief, Massé et Trouillot ? Sachez que cette entrave est plus préjudiciable aux ouvriers qu’aux patrons ! « Veut-on nous amener par la force des choses à la journée de neuf heures ? L’atti tude de l’administration dans cette question ferait croire que c’est bien le but inavoué des disciples ae Jaurès ! « Certes, cela ne ferait pas peur aux in dustriels français, si leurs concurrents étran gers adoptaient le même régime ? Mais nous en sommes loin, bien loin ! » La lettre se termine par une protestation contre la tyrannie socialiste et une affirma tion de républicanisme. « Excusez-nous, s’écrie le signataire, vous me fournissez une occasion que je désirais de récriminer et de faire savoir à Paris, ce que I on ignore peut-être, qu’on n’est pas content en province, dans le monde du tra vail et de l’épargne, parmi les fondateurs véritables de la République, dont nous sommes ! » Voilà, si j’entends bien, un monsieur fort en colère. Heureusement que l’expression de cette fâcheuse humeur nous arrive du fond de l’Ardèche et qu’à cette distance il est permis de garder son sang-froid et de raisonner. Notre industriel, qui bénéficie d’une hon nête aisance, ne veut pas en être dépossédé par « les fainéants et les gaspilleurs » c’est à dire par les ouvriers auxquels, en fin de compte, il la doit. Mais il ne s’agit pas de l’honnête aisance de ces braves gens : elle leur est acquise, personne ne la guigne et ne songe à la leur prendre. Ce qui est en cause, c’est de savoir si l’effort demandé aux enfants, aux femmes et aux adultes des ateliers mixtes peut excéder dix heures et si, pour convertir cette honnête aisance en ri chesse, il est indispensable de condamner ceux qui la produisent, sans en jouir, à tri mer une demi-heure de plus chaque jour, quittes à trouver un peu de repos le samedi soir. Le moyen est simple de ne pas priver les ouvriers de cet avantage, très réel, de pou voir regagner le foyer familial dès le samedi après-midi et de permettre à la ménagère de préparer dès la veille la maison pour que le dimanche tout entier puisse être consacré au repos et aux joies de l’intimité : c’est de li miter à cinq ou six heures le travail du sa medi sans allonger la durée du travail jour nalier le long de la semaine. Dix heures n’est pas un minimum. Ils sont nombreux les pays et les indus tries où l’on ne travaille que neuf, huit ou même sept heures ! Pour 1 enfant, dix heures c’est monstrueux, pour la femme c'est trop, et, pour l’homme adulte, c’est déjà beaucoup ! Mais pour protester ainsi contre la réduc tion des heures de travail dans les ateliers où se trouve du personnel protégé par la loi de 1900.au nom d’un prétendu droit de con server les conditions qui ont assuré la for tune des patrons, il faudrait faire le compte de ce qui revenait aux ouvriers et savoir quelle a été leur part. Combien de travailleurs morts à la peine? Combien de femmes courbées, flétries, cas sées avant l’âge, dont la vie n’a connu que les angoisses de la maternité, les privations et la misère? Combien d’enfants livrés à tou tes les contaminations physiques et morales dans la promiscuité navrante des ateliers, jetés à la débauche et à la rue ? Combien de pauvres petits mal venus, pendus aux seins taris de leurs mères, trop tôt disparus? Voilà ce qu’il faudrait dénombrer et — s’il y en a — nous montrer, parmi les collaborateurs de notre industriel, les ouvriers arrivés com me lui — toutes proportions gardées, bien entendu — à l’honnête aisance. Peut-être allons-nous porter atteinte à la prospérité de notre industrie et donner barre sur nous à la concurrence étrangère par cette réduction de la journée de travail ? L’argument serait pour nous tous cher si l’on travaillait plus an dehors, ce qui n’est pas ; si l’on travaillait mieux, ce qui est contestable ; si, enfin, il n’était pas démon tré que, jusqu’à^ une certaine limite, que nous n’avons pas encore atteinte dans la di...

À propos

Fondé en 1881, Le Petit Troyen s'est d'abord défini comme un petit quotidien républicain radical. Son propriétaire, l'homme politique Gaston Arbouin, assume la direction politique de la feuille jusqu'à sa mort en 1907. Favorable au régime de Vichy, le journal sera interdit en 1944.

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