Extrait du journal

Votations et Bifurcations Scra-t-il dieu, table ou cuvette ? C’est la question que se pose le sculpteur qui va tailler le marbre ; c’est celle de cet autre artiste qui dégrossit l’esprit d’un enfant, père ou profes seur. Il y a cette différence que le sculpteur fait ce qu’il veut de la matière qu’il assouplit à sa pensée, tandis que, dans l’éducation d’un enfant, il y a deux personnes en face l’une de l’autre dont chacune à son idée. L’idée de l’enfant s’appelle une vocation. Naturellement les idées et les vocations se dé gagent et se formulent avec peine on ne sait à quelle heure. Au moment où j’écris, à la mi-septembre, quand les haies se tachent de baies rouges, quand le tournesol essaie d’aviver les pays âgés d’automne en dressant le plus haut possi ble sa tête d’or, les pères, au retour de la chasse, vont par les chemins songeant à la rentrée ; et ils se demandent ce qu’ils feront de leurs fils. L’un d’eux me disait, en levant les épaules, que son fils avait la rage de la marine ; il me consultait vaguement. — Ost une vocation? lui demandai-je. — Une vocation irrémédiable,me répondit-il. — Alors, je vous félicite, lui dis-je. Vous n’avez à vous préoccuper de rien. Il arrivera certainement. Ne nous en mêlons pas. Heureux les parents dont les enfants sont d’avance, par leur tempérament, leur carac tère, leur esprit, destines à une telle carrière. C’est l’exception. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas de livre ni de cours qui explique simplement et clairement la vie sociale aux jeunesffcns qui vont former la société de de main. Ils ne savent pas ! Edouard Charlon y avait songé, de façon qu’il composa un ouvrage de renseignements ; mais des textes de lois et des chiffres ne suffisent pas à une telle ques tion. Il faut une peinture vive, émouvante, et pourtant sans exagération aucune des diverses routes de la vie. C’est un livre très haut à faire et très enfantin — ne l’écrit pas qui veut, On a découvert, cette année même, un moyen superbe de faire jaillir les vocations, c’cct la bifurcation prise de très bonne heure. Vous assemblez une vingtaine d’enfants et vous les faites causer. Celui-ci aime les lettres,celui-là les sciences, l’un a mordu au latin, l’autre pas du tout. En quelques instants vous avez vu le fond et le trefond de ces âmes juvéniles. Rica de plus facile que de les répartir en deux caté gories: les capables et les incapables. Alors on aura deux genres de maisons différentes po les élever. Voilà ! Le malheur est que quand on a soumis ce beau projet aux directeurs d’établissements ils ont répondu à l’unanlniilé : « Je ne m’en charge pas. » En effet, qui peut dire comment et quand s’entrouvrent les esprits ? Bien plus ! même lorsqu’un enfant est entre dans telle ou telle carrière, qui sait si ses goûts intimes ne le poussaient pas vers telle autre? Je me suis amusé, dans mes voyages, à re chercher ce que j’appelais la seconde carrière de bien des gens. Un jour, je tombe chez un agent-voyer qui était le plus irréprochable des métreurs et que je regardais comme l’homme le plus heureux du monde. Or, il était malheureux car, au fond, c’était un marin de naissance. Les cir constances et la volonté de son père l’avaient cloué au sol. Toute sa vie, il économisa pour acheter des ouvrages de marine qu’il dévorait. Derrière le petit cabinet où l’on ne voyait que des traces et des tirc-Iigncs, il possédait des réduits secrets pour les vaisseaux qu’il cons truisait, pour les cartes, les gravures, les ta-...