Extrait du journal

Il y a comme un voile de mystère autour de l’Afrique impénétrable, une buée qui monte de la mer vers le ciel trop bleu, effaçant les couleurs et atténuant les bruits. Peut-être qu'aujourd’hui même éclate la fusillade au-dessus des petits toits pointus du poste français ? Et la patrie est là bas, symbolisée par une loque qui flambe au soleil, gardée par une dizaine de tirailleurs et une cinquantaine de miliciens! Cette chiffe qu’ils vont défendre, c'est la France, c’est Paris que j'entends passer sous mes fenêtres en habits de fête, tandis que les premiers bluets cueillis dans les blés pas mûrs piquent à sa boutonnière un peu du drapeau tricolore. Et je songe que toutes les préoccupations qui nous hantent et les passions qui nous agitent, la politique et les théâtres, les amants qui se vengent et les acteurs qui jouent un rôle, toute notre vie, tout le cortège des fantouches qui vont au Bois et qui en reviennent chaque jour à la même heure, je songe que toutes ces choses, cette foule et cette comédie, paraissent riridiculement petites, si on les compare au drame qui se joue dans les profondeurs africaines, au Dahomey et dans i’Oubanghi! Car, de là aussi nous viennent d’alarmantes nouvelles. Tout le continent noir se soulève. Et les personnages qui s'agitent dans cette action désespérée du monde barbare luttent contre le monde moderne, ne se meuvent nas au gré des ficelles dramatiques. Ils vibrent pour de bon, comme on dit; ils poussent de vraies clameurs, ils combattent héroïquement sur de réels champs de bataille où l'on meurt par milliers !...