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Le Réveil du Nord, 2 juillet 1902

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Le Réveil du Nord
2 juillet 1902


Extrait du journal

CHRONIQUE 3_j© Nez C’était un nez remarquable ; un nez qui atti rait l'attention par sa courbe aquiline, un nez pittoresque, « éloquent » comme celui de Mme de Villette, selon l’expression de M. le prési dent de Persigny, bien campé au milieu de la face, dont il semblait avoir pris possession com me d’un pays conquis. Et je me demandais, en examinant cette mer veille, pourquoi, étant donné le rôle important que joue le nez sur le visage, pourquoi poètes et romanciers s’en occupaient si peu dans leurs descriptions fréquentes. On consacre des pages aux yeux, à la bou che, aux oreilles, aux cheveux, au front, et c'est à peine si le nez est honoré d une ligne : les plumes généreuses lui accordent un maigre alinéa, et c’est tout. Je ne connais qu’un poète qui ait consacré une pièce entière au nez. C’est M. Mérat, dans un petit volume ayant pour titre : « l’Idole », collection de sonnets plus ou moins réussis sur les beautés de la femme. Le « Sonnet du Nez » n'est pas un chef-d’œuvre, mais enfin c’est un hommage rendu à cet organe dont on ne s'oc cupe pas assez, et il faut savoir gré à l’auteur de n’avoir pas, comme ses prédécesseurs, dé daigné de faire l'éloge du nez. Le nez disent les savants, est la partie saillante de la face, qui est placée au-dessus de la bouche et qui est l’organe de l'odorat. Les anatomistes ajoutent: « Le nez se divise en qua tre parties : la racine, le clos, les ailes et le bout. » Parbleu ! voilà les ignorants bien avancés avec cette définition ! Ici j’ouvre une parenthèse, pour faire amende honorable. J’ai dit tout à l’heure que je ne connaissais qu’un poète qui se soit occupé du nez d’une façon spéciale. C’est une grosse erreur que j’ai commise : Je me souviens que Théophile Gau tier a consacre au nez une page humoristique qui restera et que je recommande aux rhinoplastes de l’avenir. Je reprends : le nez qu’il soit grand ou petit, large ou mince, mérite toute notre considéra tion. Remarquez d’abord que 1 on remplace un ce il, des dents, des cheveux, à tromper le re gard le plus exercé ; mais essayez donc de rem placer un nez. Je sais bien que les rhinoplastes vous taillent un nez dans telle ou telle partie charnue du veau ou de votre semblable et vous le greffent sur le visage ; mais cette bouture ne vit pas. U y a b.en des nez de carton, ils ne sont qu’à portée des invalides. La difficulté, l’impossibilité de remplacer un nez indique déjà la supériorité incontestable de cet organe sur les autres. Maître Lambert, le notaire sans nez, en sait quelque chose. Le nez est l'organe respiratoire par excellen ce ; c’et sans doute pour cela que les humains, qui sont généralement portés à changer la des tination des organes, respirent par la bouche, ce qui est tout simplement absurde. L'influence du nez sur les empires a été de tout temps singulière. Pascal a dit avec rai son : «Si le nez de Cléopâtre avait été plus court, la face de la terre aurait changé. » César et Napoléon avaient des becs d’aigle, et chacun sait quelle influence ces deux nez ont eu sur la destinée des peuples. Les physionomistes ont fait d’utiles remar ques sur le nez. Je crois devoir en signaler quel ques-unes ,en ajoutant que j’ai reconnu la vé rité de ces diagnostics en plus d une circons tance. Le nez fendu, comme celui des chiens de chasse, indique la bienveillance. Les indiscrets ont le nez pointu, aigu ; SaintSimon avait le nez fait de la sorte. Les nez carrément plantés, charnus, appar tiennent aux esprits dominateurs. Les nez camus sont généralement des nez peu estimables. Défiez-vous des nez rouges, leur propriétai re ne vaut pas grand chose. Cromwell avait le nez rouge. Remarquez que tous les grands hommes ont eu de grands nez. On ne connaît qu’une exception : c’est So crate ; le philosophe était camus ! Aussi quelle existence lui fit Xantippe ! Les nez de femme sont à considérer. Tout d'abord je crois qu’on peut dire : Montre-moi ton nez, je te dirai ce que tu es ! Les nez droits marquent la pudeur, la dignité mais aussi la froideur. Le nez aigu, puissant, est un signe d’ins tincts dominateurs et parfois cruels.Tels étaient les nez de Catherine de Médicis et la reine Eli sabeth. Les nez retroussés révèlent mille et mille cho ses charmantes. Ce sont les nez féminins par excellence. Les longs nez sont un signe de force et de puissance, et je partage absolument sur ce point l’opinion de Cyrano de Bergerac dans son « Voyage dans la lune », comme aussi celle de Vinueul Marvillc, qui prétend que les grands nez sont en honneur par tout le monde. Il est vrai que les Chinois et les Tartares pensent tout le contraire ; mais l’exception justifie la règle. Quant on a dit : les yeux sont le miroir de l’âme, ce qui est faux, par parenthèse, on a tout dit sur les yeux. Il faudrait une colonne de journal pour citer les sages dictons auxquels le nez a donné lieu. Qu’il me soit peimis d'en re produire quelques-uns. On dit d'un perspicace : « Il a le nez fin, il a bon nez. » D’un poltron . « Il saigne du nez. » D’un esprit obtus : « Il n'a pas de nez. » D’un esprit borné : « Il n’y voit pas plus loin que son nez. » D’un irascible : « La moutarde lui monte au nez. » D’un irréfléchi : « Il n'a pas plus de nez que cela. » Des mystifiés • « Ils ont un pied de nez. » D’un jeune homme qui fait l'important « Si on lui tordait le nez, il en sortirait du lait. » D’un imbécile tombé dans un piège : « Il a été pris par le nez, comme un buffle. » D’un individu auquel rien ne réussit : « Il est heureux comme un chien qui se casse le nez. » L’indiscret : « Fourre son nez partout. » L’honnête homme . « Peut marcher le nez levé. » L’insolent « regarde les gens sous le nez », et l’impertinent « rit au nez du monde. » Les espriLs actif* «

À propos

Fondé en 1889 à Lille, Le Réveil du Nord s'est d'abord défini comme une parution radicale et antiboulangiste du Pas-de-Calais. Les années suivantes, il s'affirme comme la plus grande publication de gauche de la région avant, contre toute attente, de sombrer dans le collaborationnisme sous l'Occupation. En conséquence de quoi le journal fut interdit en 1944.

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