Extrait du journal
Au point de vue de l’utilité immédiate, la classe rurale est la classe par excellence, puisque c’est elle qui nous donne le pain. S’il était prouvé que l'inégalité sociale fût absolument fatale, c’est en faveur des cultivateurs que la société aurait le devoir de l’établir ; le simple bon sens dit en effet que ceux qui sont en communion directe avec la nature et qui entretiennent la vie par leur labeur incessant, constituent une classe bienfaisante ; tout ce qui existe mi-bas, c’est à eux que nous le devons. Que faisons-nous, pour reconnaître les bienfaits dont ils nous comblent ? Ces travailleurs, sans lesquels tout s’arrêterait instantanément dans notre société bourgeoise, possèdent-ils seulement leur part de bonheur? Il y a des gens qui le croient et, à toutes les époques, il s’est trouvé des poètes bucoliques pour chanter, comme Virgile, la félicité sans bornes «des trop fortunés laboureurs ». Etant donné l’organisation antique, il est douteux que cette félicité ait pu jamais exister ; en tout cas, ce n’est pas dans notre société de propriétaires qu’il faut chercher cet âge d’or. La condition des paysans est, en effet, misérable et, lorsqu’on a vécu au milieu d’eux, on ne peut qu’éprouver un sentiment de commisération profonde pour ces millions de condamnés aux travaux forcés de la terre. La vie des paysans est tout autre qu’on se la ligure. Nous nous représentons volontiers la classe rurale comme formée de paysans-propriétaires cultivant leurs propres terres et vivant de récoltes acquises au prix d’un travail modéré. Or, nous l’ayons vu, cela est contraire à la réalité ; la petite propriété est un fait exceptionnel dans le monde et, presque partout, les paysans travaillent, non pour leur propre compte, mais au profit de gros propriétaires qui les exploitent à qui mieux mieux. Les habitants de la campagne sont, en grande majorité, des salariés, on pourrait même dire des esclaves, car la liberté théorique dont ils peuvent jouir est tellement limitée en pratique par le régime social dans lequel ils vivent, que leur sort ne vaut guère mieux que-celui des anciens serfs. Levés le matin à la première heure, il faut qu’ils aillent, été comme hiver, par la chaleur, par la pluie ou par la neige, peiner tout le jour sur les champs d’autrui. Quand la nuit arrive, ils rentrent dans leurs tanières et se jettent sur la paille de leurs grabats, mais c’est à peine s’ils peuvent goûter un repos de quelques heures...
À propos
Le Révolté est un journal à tendance anarchocommuniste fondé notamment par Pierre Kropotkine et François Dumartheray à Genève en février 1879. En 1884, la publication s’installe rue Mouffetard, à Paris. Elle est sous la direction de Jean Grave depuis 1883, ce dernier fera participer Élisée Reclus. Initialement un bimensuel, le journal devient un hebdomadaire à partir de mai 1886. Il est un des principaux organes doctrinaux de la mouvance anarchiste de la fin du XIXe siècle. En 1887, il prend le nom La Révolte et disparaît en 1894 à la suite des lois scélérates.
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