Extrait du journal

ses meurtrissures. Elle souriait, elle semblait heureuse. Sans doute elle se laissait assommer sans souffler mot. Pendant plus de quinze ans, celte existence dura. Lorsque Adélaïde rentrait chez elle, elle trou vait la maison au piilage sans s'émouvoir le moins du monde. Kilo manquait absolumept du sens pratique de la vie. La valeur exacte de l'argent, la nécessité de l'ordre lui échappaient. Elle laissa croître ses enfants comme ces pru niers sauvages qui poussent le long des routes, au bon plaisir de la pluie et du soleil. Pour seuls maîtres ils eurent leurs instincts. Jamais la nature ne fut moins contrariée, jamais pe tits êtres malfaisants et égoïstes ne furent plus franchement ce qu'ils devaient devenir. Us portèrent leurs fruits naturels, en sauvageons •que la serpe n'a point greffés ni taillés. S'ils grandirent mauvais, c'est qu'ils étaient nés d'une souche mauvaise, et que nulle culture n'essaya de déguiser leur nature première. Ils y gagnèrent d'être plus tard des physionomies singulièrement originales, ayant le pli de la nature bon ou détestable. En attendant, ils se roulaient dans les plants de légumes, passant leur vie . en plein air, à jouer et à se battre comme des vauriens. Ils volaient les provisions du logis, ils dévastaient les quelques arbres fruiljers de l'enclos, ils étaient les démons familiers, pillards et criards, de cette étrange maison de la folie lucide. Quand leur mère disparaissait pendant des journées entières, leur vacarme devenait tel, ils trouvaient des inventions si diaboliques pour molester les gens, que les voisins de vaient les menacer d'aller leur donner le fouet Adélaïde, d'ailleurs, ne 'es effrayait guère, lorsqu'elle était là, s'ils devenaient moins in supportables aux autres, c'est qu'ils la pre naient pour victime, manquant l'école régu lièrement cinq ou six fois par semaine, faisant tout au monde pour s'attirer une correction qui leur eût permis de brailler à leur aise. Mais jamais elle ne les frappait, ni même ne s'emportait ; elle vivait très-bien au milieu du bruit, molle, placide, l'esprit perdu....