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Le Siècle, 12 avril 1907

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Le Siècle
12 avril 1907


Extrait du journal

La première journée La grève' est commencée. On ne s'en serait guère douté hier à Paris, où le calme le plus complet n'a cessé de régner sur tous les points. Comme l'an dernier, à la veille du lef mai et à l'époque où les boulangers menaçaient de fermer le lundi, les Parisiens ont fait, avant-hier, d'am ples provisions de vivres et aussi de pain. Mais, en général, ils ne se sont pas affolés outre me sure. Aux Halles, les transactions se sont effectuées dès l'heure matinale accoutumée sans le plus petit incident. Tout le personnel était à son poste. Les clients sont venus comme d'ordinaire, ni plus pressés ni plus inquiets. Dans tous les pavillons, nous avons constaté le même calme et aussi le même travail qu'à l'habitude. Le service d'ordre n'avait pas été renforcé. Dans les grands magasins d'épicerie, on se mon trait optimiste. Au syndicat patronal, on se montrait très tran quille. Le bureau de placement fonctionnait com me à l'habitude. Dans la journée d'avant-hier, une cinquantaine d'ouvriers se sont présentés au bu reau de placement du syndicat et ont été envoyés chez divers patrons. C'est d'ailleurs le chiffre nor mal des placements journaliers. — D'ailleurs, nous dit le secrétaire, en supposant que les organisateurs réussissent le mouvements qu'ils pré parent, c« n'est que co soir que la grève commencerait et demain seulement que Paris serait privé de pain, car la plupart ds ouvriers n'entrent au fournil qu'à sept heures du soir : dans quelques maisons seulement, la journée débute à trois heures. Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas inquiets : il est probable qu'il v aura ça et là des défections dans le personnel de quelques maisons, mais nous serions tort surpris si nous nous trouvions on présence d'une grève importante. On verra plus loin que ces prévisions optimistes des patrons étaient justifiées et que la grève n'a pris que des propcitions extrêmement faibles. Le meeting des boulangers A" neuf heures quarante-cinq, la grande salle de la Bourse était absolument comble. On dut ouvra? les portes donnant sur les couloirs pour permettre à tous les assistants d'entendre les ora teurs. Près de la tribune avait été placée la bannière du Syndicat des ouvriers boulangers de la Seine. Dans la salle, on vend le Réveil des ouvriers boulangers, qui se chante sur l'air de la Marseil laise et débute ainsi : 1" COUPLET Enfants de la Boulangerie Il est temps de nous révolter Contre nos patrons en furie Tous unis pour nous opprimer [bis). On les voit plongés dans leur rêve. Tout en surveillant leurs tiroirs, Ils tremblent devant leurs comptoirs En voyant arriver la" grève. REFRAIN Ouvriers boulangers ! formez tous vos sections ! Marchons, marchons, Tous les patrons] nous les supprimerons* Les patrons et les renégats On les pendrason les pendra AhJ^Ah ! (tiisj - ; Cette chanson-est vendue au profit des grévistes. Ia R^ancf». est ouverte à dix. heures. M. Linon est nommé'"par acclamations président, avec, pour' assesseurs, MM. Lacroix «t Dumas. • M. Linon prêche d'abord l'union : « Pour vous, " dit-il, la défaite serait un grand malheur, dont vous porteriez le poids durant bien des années. » La parole est donnée à M. Savoie, secrétaire du Syndicat. Il se défend, avant tout, de vouloir commettre des actes révolutionnaires, « suivant l'expression que les patrons font imprimer dans les journaux ». Il fait ensuite remarquer que l'as sistance ne comprend pas seulement des chômeurs. L'orateur répond aussi au reproche qu'on lui a fait d'avoir annoncé la grève. Nous n'avons voulu surprendre personne, dit-il, pa trons ou camarades. Les patrons deviennent trop exigeants, arrogants. Il faut leur rappeler que nous existons. Nous sommes prêts. Nous ne marchons pas à l'aveuglette. Nous avons des signatures qui engagent les consciences. Savoie se plaint de l'êxistenee de 2.000 chômeurs. « C'est trop ». Ces chômeurs permettent aux patrons de relever la tête. Si vous faites des ditjicuités, ils vous flanquent à -la porte; -sûrs de vous -trouver des remplaçants. Le secrétaire du Syndicat estime qu'il faut exi ger l'élévation des tarif s-et le fepos hebdomadaire. Il ne faut céder à aucun prix. Les patrons sont organisés. Le 8 oètobre, ils ne vous ont pas de mandé la permission de fermer boutique. C'est une leçon à laquelle vous allez répondre aujour d'hui. Il vous faudra vous répartir dans Paris et décider ceux qui n'ont pas compris. Le moment d'agir est venu. Mais voici M. Bousquet à la tribune. Il remercie les assistants d'être venus si nombreux pour pro tester contre l'exploitation patronale. Nous sommes aujourd'hui ce qui semblerait un para-, doxe social des « légalistes » (sic). On ne conteste pas des "droits aux forçats. On ne les accorde pas aux ouvriers "boulangers. C'est une atteinte à la liberté. La société actuelle est pourrie. La presse a dit que la grève; de l'alimentaUon était un bluff. Voyez, messieurs. Déjà, à Marseille, l'armée a refusé le service. Deux soldats ont refusé de pétrir le pain. Cela, je l'avais pro mis (Trépignements.) Peu nous importe que de petites villes restent à l'écart. Les grandes sont avec nous. Les radicaux ont trahi la classe ouvrière en se mettant du côté des exploiteurs. De grandes cités voiit le leur dire : Ce sera leur faillite. Nous avons le droit de monter à rotre tour sur le mont Aventin de la solidarité ouvrière. Le passé est mort. Le présent seul existe. Nos mesures sont prises. Quand la grève sera votée, dispersez-vous. Une grève ne se fait pas en chantant l'Internationale devant la Bourse. Si on pratique le sys tème des petits paquets, attendez d'être débarrassés d'un € sale contact » (sic). Il y aura des surprises. Après tout, nous n'avons rien à perdre dans le conflit actuel. Usons de nos droits. Je ne sais ce qu'il en sortira. Mais, de puis huit ans, nous avons marché dé l'avant. Camarades, dit-il en terminant, vive la grève générale d?, l'alimentation ! . Après lui parle M. Millet, puis M. Savoie donne lecture de la lettre écrite avant-hier par le Syn dicat au groupe patronal. On y rappelle que la convention de 1903 n'est plus valable depuis la loi du repos hebdomadaire, bien que spécifiant deux salaires 'distincts, hebdomadaire et journa lier. Le 11 janvier 1907, un exploit d'huissier fut refusé par le Syndicat ouvrier, parce que les pa trons cherchaient à y dégager leurs signatures. Le Syndicat ouvrier propose donc les conditions suivantes de tarif : 1° salaire hebdomadaire, six jours de travail, 49 fr. minimum pour quatre four nées de pain journalières au maximum ; 2° four nées supplémentaires à 2 francs par homme et par jour.- Pour le travail à trois hommes, 49 francs par semaine pour six fournées de pain par jour, et fournées supplémentaires à 1 fr. 50 par homme. Ouvriers de remplacement, 8 fr. 15 par jour pour quatre fournées à deux hommes et six à trois hom mes. Dix-neuf lettres sont alors remises pour les dixneuf sections, contenant les instructions dernières du comité de grève, La grève est ensuite votée au milieu d'unanimes applaudissements, et M. Bousquet proclame' la grève générale de l'alimentation pour Paris et la province. M. Delpech annonce que l'Union des Syndicats de la Seine s'engage à soutenir pécu niairement et moralement les chômeurs. Ainsi en a décidé le comité de l'Union, réuni avant-hier soir. Il est alors procédé à la nomination de délé gués pour Paris et la banlieue. Le comité de grève se refuse à fournir la liste des salles où les délégués siégeront pour recevoir les nouvelles adhésions écrites à la grève et d'où ils expédieront les patrouilles destinées à arrêter.: les renégats. • La sortie La Bourse du Travail avait été., entourée par d'importantes forces de police. Dès neuf heures un quart à dix heures et de mie, les gardes et agents de police arrivaient sur lès points aui leur étaient assignés.. Un peloton...

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Fondé en 1836 par Armand Dutacq, Le Siécle bouleversa la presse française grâce à une stratégie éditoriale révolutionnaire pour l'époque. Comme La Presse de Girardin, fondée la même année, ce quotidien fixa son prix d'abonnement à 40 francs – c'est-à-dire la moitié de celui des autres journaux – et entrepris de compenser cette somme modique par d'autres revenus, tirés de la publicité. Traditionellement anticlérical, il deviendra l'organe de la gauche républicaine pendant une grande majorité de la Troisième République.

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