Extrait du journal

Je cause avec le préfet d'un de nos gros départements, un de ceux qui sont du bon côté de la guerre. Car il y a de grandes in justices dans la géographie de la guerre. A l'un 1«3 Boches. A l'autre les Anglais. L'un sera ruiné. L'autre fera fortune. Et quelle fortune que l'arrivée de ces milliers d'hommes, de ces centaines d'officiers ri ches, aussi magnifiquement prodigues de leur argent que de leur sang, qui envahis sent les moindres hôtels, louent toutes les villas, emplissent le soir tous les restau rants ! Dans le chef-lieu dont je parle, modeste plage en temps normal, je vois payer 23 fr. une chambre à trois lits pour une nuit, et encore, l'un des voyageurs ayant voulu s'en servir dans la journée, on lui réclama 11 fr. de supplément. Tel dîner , au prix* fixe de 4 francs jadis, est toujours à prix fixe, mais à 7'francs. Vin, café, pourboire, on en au rait eu autrefois pour 5 francs. C'est 10 francs aujourd'hui. C'est dire qu'il règne dans ce départe ment, par cascade, des hôtels aux commerçâSlts et de ceux-ci aux fermiers, une large prospérité. U ne devrait pas, il ne peut pas y avoir de misérables dans un pays où coule un pareil Pactole.. Cependant le préfet m'avoue qu'il signe chaque mois pour un million et demi d'allocations. N'est-ce pas un peu aïmsif? Il l'a pensé, et il a fait faire de discrètes enquêtes qui ont révélé de petites fraudes, pas bien méchantes sans doute, mais dont l'accumulation finit par se chiffrer par des centaines de mille francs.'La plus courante est de ne pas avertir l'autorité, quand un enfant, qui avait moins de seize ans en 1914, dépasse cet âge fatidique. On avait une fille de quinze ans en 1914, nous voici en 1917, elle a toujours quinze ans... pour l'allocation. Et il en est ainsi pour tout. Une réfugiée de mise modeste se présente et obtient un bon de bottines. Le bottier envoie le lende main un mot à la préfecture pour avertir que la cliente prétend emporter une paire de 60 francs en cuir vert, à hautes tiges, la plus élégante chaussure de sa vitrine ! Son bon ne mentionnant pas le prix, elle a choisi ingénument ce qu'il y a de "plus cher. Pour la carte de sucre, chaque famille prévient quand le nombre de ses membres augmente, pour obtenir un supplément. Mais que oe nombre diminue, pour "une cause ou l'autre, on se tait soigneusement. Le pain donne lieu à d'autres comédies. Un mari vient dire que sa femme est en ceinte. Comme telle, son estomac a des ca prices, et ne suonorte, comme nourriture,...