Extrait du journal

Il tâta du commerce, mais sans succès et finit par abandonner le pays. Pendant quel ques années l'on n'entendit plus parler de lui. Un beau matin on le vitreparaître avec deux longs tire-bouchons sur les orfeilles et il s'institua lecteur de psaumes au chevet des moribonds. Ce métier ne l'enrichissait pas davantage. Il tenta un dernier effort. Le jour de la fête du Grand-Pardon, tous nos frères étaient déjà rassemblés ,dans la synagogue, lorsqu'à leur stupéfaction ils virent entrer un être indéfinissable, accroupi à quatre pattes, crotté jusqu'aux yeux, et qui ressemblait beaucoup plus à une gre nouille qu'à un homme. C'était pourtant le lecteur de psaumes: il avait imaginé de con tribuer à l'édification d'Israël en venant à la synagogue dans cette humble posture, pour se mortifier aux yeux des fidèles. Il avait suivi dans cette attitude une rue longue de plusieurs centaines de mètres sous une pluie battante, et pataugeant dans une couche épaisse de boue. Pendant toute la durée du service il resta prosterné, ne se levant que pour baiser la thora. J'en rougis pour mes coreligionnaires, monsieur Zack; croiriez-vous que cet acte d'humilité absurde, insensé, leur tourna la tête? Guerchan fut canonisé d'enthousias me ; à partir de ce jour, il fut considéré comme un saint mis à part par l'Eternel, un oracle éclairé de Dieu. Ce haut fait de dévotion fit sa fortune. Ce fut à qui viendrait le consulter ; on lui at tribua le dort des miracles, et, comme vous pensez bien, on ne venait pas les mains vides. Un rusé compère, un intrigant de la même espèce eut l'idée d'exploiter la bonne veine du nouveau saint en lui faisant faire une tournée de miracles. Le père Guerchan entra bravement en campagne. Ce fut un triomphe; à son retour, sa renommée de thaumaturge était établie, et les dévots accoururent et se laissèrent prendre à ses airs onctueux comme des...