Extrait du journal

— Je voudrais partager votre foi, Froïm ; mais j'ai trop souffert pour croire encore au Dieu d'Israël ! Ne criez pas au blasphè me, écoutez plutôt : Il me semble que c'était hier : j'avais dix ans, j'étais assis aux pieds de ma mère et je déroulais le fil de son peloton ; je la vois encore, j'entends le cliquetis de ses aiguilles à tricoter, j'aimais à voiries mailles se suc céder puis s'aligner comme de petites per les toutes égales ; à chaque tour, la trico teuse s'arrêtait, et dans moins de temps qu'il n'en faut pour le dire elfe avait plongé l'aiguille restée libre dans les bandeaux noirs de ses cheveux aux reflets soyeux, posé un baiser sur mon front, et déjà les aiguilles avaient recommencé leur chanson monotone. Je me blottissais dans ses jupes pour me réchauffer, et tandis qu'elle chan tait pour me distraire un air plaintif com me tous nos chants populaires, je contem plais d'un regard rêveur les arabesques et les feuillages fantastiques qu'un froid de 30 degrés avait dessinés sur notre fenêtre. Je savourais doucement le bien-être de me sentir si chaudement enveloppé au milieu de la plaine glacée. ' Je me rappelle encore que ma mère, s'étant levée pour surveiller les apprêts du dîner, je grattai un petit trou dans la blan che gelée des vitres, et je m'extasiai de vant l'éclat éblouissant de la neige amon celée où les passants enfonçaient jusqu'aux genoux : — Oh ! maman, regarde les beaux gen darmes ? m'écriai-je, ils viennent chez flous. Au même instant trois hommes entrèrent : Un cri déchirant, que j'entendrai toute ma vie, retentit dans la chambre. D'un bond ma mère fut près de moi, m'enlaça de ses bras, me couvrit de son corps ; les deux gendarmes mirent la main sur moi, m'arra chèrent de ses bras, malgré mes coups de pied, de poing.et de dents. Pendant que je me débattais, un gros juif, à la barbe...