Extrait du journal

Les vilains métiers de Paris Dans la bonne ville du roi Henri, il existe aujour d'hui un nombre fort respectable d'agences bâtardes qui, ne voulant être ni bureau de placement, ni agence de renseignement, prennent un titre quel conque et n'en mettent que mieux en coupe réglée tous les malheureux qui ont la mauvaise idée de s'adresser à elles. Ces maisons interlopes sont, d'ans l'échelle' de l'escroquerie, si-non les moins répréhensibles, celles qui savent échapper le mieux à la répression. Le stratagème le plus usité par les industriels in délicates qui dirigent ces établissements est très sim ple, il est même si grossier qu'il semble extraordi naire que tant de pauvres diables s'y laissent pren dre. Voici en quoi il consiste : Après avoir loué, dans un quartier convenable, un rez-de-chaussée ou un entresol et l'avoir meublé d'une façon décente, le nouveau directeur de l'agence innommée rédige une annonce dans le goût de celle ci : , ON DEMANDE deux caissières 100 francs par mois ; une gouvernante pour famille étrangère, app. 100 Ir. ; un comptable, 150 fr., très pressé. S'adresser à-M. Jean, 336, rue Vivien no, de 3 à 5 heures. „ Il court porter cette annonce dans les Petites af fiches et dans les journaux à fort tirage. Ce soin accompli, l'escroc s'entend avec un complice qui, lorsque les dupes se présenteront, devra jouet tour à tour le rôle du patron qui cherche des caissières, du bourgeois qui demande la gouvernante ou du commerçant qui a besoin d'un comptable. L'annonce ayant paru, les pauvres hères qui bat tent le pavé de Paris à la recherche d'une position sociale viennent sonner à la porte de l'agence. Pour commencer, on les laisse attendre longtemps dans l'antichambre. Cela fait si bien ! Enfin, on les reçoit dans le cabinet directorial, et le dialogue .suivant s'engage : — Monsieur, j'ai, lu dans les Petites ajjiches que vous aviez une place de caissière; je suis presque sans ressources, j'ai ma mère infirme à ma charge, et, comme j'ai grand besoin de gagner ma vie, je suis venue à vous, pensant que vous pourriez me faire obtenir, une place qui me permettra de gagner honorablement mon pain, dit la jeune arrivante. — Parfaitement, mademoiselle, il s'agit, en effet, de places de caissière; c'est un monsieur, grand négociant, qui monte en ce moment des magasins d'eaux minérales ;il m'a prié, de lui trouver des jeunes filles honorables pour la gérance. Cela vous conviendrait-il ? Voici les conditions : 200 francs sans logement, 150 francs avec logement. — Monsieur, j'accepte ce que vous voudrez; dans ma position, on ne choisit pas. — Allons, parfait, donnez-moi donc votre nom, prénom, votre âge, puis racontez-moi un peu ce que vous avez fait. Presque toujours, la cliente obtempère au désir qu'on lui exprime et, naïvement, conte ses affaires au rusé coquin. C'est alors, lorsque celui-ci se sent bien maître de la situation, qu'il démasque ses batteries et arrive au point délicat. — J'ai oublié de vous avertir, dit-il, que nous ne sommes point un bureau de placement et qu'il est d« tradition dans notre maison de ne nous occuper que de nos abonnés. Si vous tenez à avoir l'adresse de la personne qui a besoin de vos services, il faut que vous preniez un abonnement d'un mois au moins à notre journal, dont voici un exemplaire. Et le directeur tend à la jeune fille une sorte de prospectus plié en deux et portant es vedette le titre...