Extrait du journal

QU’EST—CE QUE CELA PROUVE ? Une chose phénoménale s’est passée, à Paris, du samedi soir au dimanche soir derniers. Un professionnel du cyclisme à couvert, — c’est l’expression technique, — plus de deux cents lieues dans l’espace de >ingt-quatrc heures, battant ainsi, paraît-il, tous les records du monde entier. Ce virtuose de la pédale s appelle Rivierrc, et c’est, pour le moment, un homme célèbre, quoique ne valant pas cher physique ment au bout de ces huit cent cinquante kilo mètres passés. O.i l'a recueilli, frictionné, frotté, malaxé, massé, etc, et, très prochainement, il reprendra le cours de ses exploits, s’il se présente des ad versaires pour oser lui disputer la palme. Vingtquatre heures à bicyclette, toujours pédalant, toujours tournant, toujours virant, c’est admi rable, et il faut une force de résistance inouïe. Quant à savoir ce que cela signifie et ce qu’il en peut résulterd'avantageux, c’est autre chose I En tout cas, voilà Itivierre au pinacle, jusqu’à ce qu’un autre le fasse rentrer dans le rang, en couvrant, dans le même espace de vingt-quatre heures, ne fût-ce qu'un kilomètre de plus que lui. A côté de ce fait merveilleux, je lis les détails navrants d’un match de beaucoup moindre im portance, comme distance et comme dur e, qui avait lieu dimanche dernier à MaisonsLaffitte entre deux concurrents distingués. Vers la lin de la course, celui qui était en avant se retourne pour se rendre compte de la distance qui le sépare de son rival, s’en vient buter con tre un trottoir, et, comme il se dit aujourd'hui, ramasse une pelle de qualité. L’autre, qui suivait de très près, se heurte à cet obstacle inattendu, fait cul par-dessus tète et se fend lu crâne. Peu d’instants après il expirait, et voilà le résultat de ces gageures et de ces luttes qui ne riment à rien et constituent uni quement un spectacle et sans doute un enjeu. La bicyclette, qui pourrait et devrait être un outil d’agrément, devient de la sorte un instru ment dangereux. On répond à cela qu’il n’est point de plaisirs sans peines et d'exercices sans dangers, et que l’on meurt tout aussi bien par suite d accidents de cheval, de voiture ou de chemin de fer. C'est exact ; mais ceux qui meurent dans ces circonstances n'ont généralement pas le choix de la locomotion et n'ont pas pour habitude de se donner en spectacle. Le mieux serait de s'en remettre aux conseils du vieux et impeccable fabuliste et de ne pas forcer son talent, sous peine de désagrément, et quelquefois pire. Si forcené que l’on soit, il sera difficile de faire croire aux plus naïfs que des hommes sont faits pour tourner comme des toupies. Que voulez-vous T c’est la mode, et le jour où quelqu'un d’autorisô décidera qu'il est...