Extrait du journal

PLUME ET PAROLE On pouvait croire, il y a quarante-huit heures, que le sang allait couler à pleins ruisseaux. A lui tout seul, un membre du Parlement avait quatre duels sur les bras. Excusez du peu 1 Heureusement, il n’y a pas eu do morts à déplorer, pas mémo do blessures graves. Et en pré sence de résultats aussi parfaitement anodins, jo me demande à quoi bon tant d’injures accumulées, souvent même tant de grossièretés , pour aboutir à quoi? A rien. 0 parait que ce no sont pas les per sonnes qu’on insulte, à l’heure qu’il est, mais les partis auxquels ces personnes appartiennent. C’est quelque peu élas tique, on en conviendra. Personnelle ment, vous jouissez de la plus grande es time ; quant au parti politique au nom duquel vous rompez des lances, c’est moins que rien, et le premier venu peut le traîner dans la boue, et vous avec, par conséquent, sans la moindre responsabi lité individuelle. Cela me semble très spécieux et à peu près inacceptable. En effet, je signe un article, et quand cet article porte mon nom, au-dessous de la dernière ligne, s’il plaît à quelqu’un d’écrire quelque part, n’importe où, que cet article est un tissu d’infamies, je ne puis cependant pas de meurer impassible, puisque c’est moi qui l’ai fait. Alors, je me mets en quête de deux témoins, pour me représenter et réclamer, en mon nom, ou une rétracta tion ou une réparation, et, quelques heu res après, ils reviennent sans l’une et sans l’autre. L’adversaire n’a pas eu la moindre intention de m’injurier ; il est plein d’estime pour ma personne. Ce qu’il répudie, c’est ce que j’ai écrit et ce que j’ai signé ; ce qu’il oublie, c’est que la si gnature m’engage, et qu’en vociférant après l’article, c’est après moi qu’il vo cifère. Il paraît que ce n’est pas tout à fait ainsi qu’il faut juger les choses et que la responsabilité des phrases écrites peut être quelquefois déclinée. C’est un nou veau mode d’appréciation qui n’a pas de grandes chances d’acclimatation en France, où l’on n’aime pas beaucoup les gens qui se dérobent; et ce devrait être en même temps la protestation la plus légitime contre ces habitudes de violence, bien faites pour dénoncer un état d’esprit des plus bizarres. Certes, je suis loin d’être partisan de ces rencontres béni gnes où l’honneur, vivement soupçonné la veille, est sauf pour la moindre goutte de sang. Ça n’est que ridicule et ça n’ap porte pas la moindre preuve. Mais lors qu’on ose entasser à l’adresse de quel qu’un les épithètes les moins accepta...