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Le Soleil, 7 mai 1898

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Le Soleil
7 mai 1898


Extrait du journal

LES CHANSONNIERS A LA CHAMBRE Les réunions électorales n'offrent plus guère d’intérêt. Il y fait très chaud, il s’y débite tou jours les mômes phrases. En résumé, c’est toute une mise en scène qu'il faut renouveler, car l'ancienne est terriblement vieille et usée. Le poète Aristide Bruant, qui est un moderne, un innovateur breveté par jugement en due forme, l'a bien compris. Candidat dans la cir conscription de Belleville-Saint-Fargeau, il a rompu avec des traditions surannées, et hier soir, il convoquait tout simplement ses élec teurs à l’entendre dans son répertoire. C'était en effet la meilleure manière de conquérir leurs suffrages. Si le célèbre chansonnier a des titres, c’est bien à son œuvre qu’il les doit. Tout Paris n’estil pas allé pendant plusieurs années dans un véritable bouge pour l'entendre ? Et il fallait qu'il eût un talent bien réel, pour déterminer des femmes du monde, des hommes bien élevés, à se risquer dans ce bouibouis montmartrois où ils subissaient une série d’avanies. D'abord, le maître du logis, avant de vous permettre de pénétrer chez lui, regardait votre figure et, d’un air méprisant, fermait une première fois la porte sur votre nez, avec accompagnement de fins de non-recevoir comme celle-ci : « Ah non! vous avez une tête qui me déplaît. » Il est vrai que, se radoucissant ensuite, il se montrait moins sévère, ne voulant pas, après tout, écar ter les consommateurs de la bière qu’il débitait et les admirateurs des refrains qu’il chantait. Seulement, un accueil particulier était réservé au nouveau venu : un chœur formidable le sa luait. Inutile d’en répéter la formule. Enfin, une fois casé, on vous laissait tranquille, à condition démultiplier les bocks et les demis et d’applau dir Bruant. Son répertoire,on ne peut le nier,est populaire. A liellcville, A Grenelle, A Saint-Lazare, A SaintOucn, ont été chantés dans le monde entier, et, bonnes ou mauvaises, littérairement parlant,ces poésies ont eu une action sur le mouvement social.. Elles créent à Bruant des droits à s’occuper de l’amélioration du sort des escarpes, à soutenir la cause des malheureux, des déshérités. S’ac quittera-t-il de son mandat, comme il l'a fait hier a la réunion par laquelle il le sollicite? cJest la question qu’on pourrait lui poser. Elle a beau coup d’importance. Comme chansonnier, nul doute qu’il n’ait au Palais-Bourbon un succès inconnu, surtout s’il siège avec son costume, et s’il prononce ses discours sous forme de stro phes rythmées et chantées. J’ajoute que s’il procédait comme tous les autres députés, ceux qui vont l’élire éprouveraient une véritable déception. Et lui-même ne s’exposerait-il pas à subir un insuccès d’autant plus terrible qu’il a toujours été gâté par les applaudissements et les ovations? Car on peut être un excellent chansonnier et manquer de talent de parole. Et puis, voyezvous Bruant abandonner dans son langage l’ar got qui fit sa gloire ! Non, cola ne se compren drait point, et ce qui prouve que le candidat de Bcllevillc entend garder pour lui seul la coupe de son vêtement et rester quand même fidèle à la musc qui fit sa fortune et sa réputation, c’est qu’il adresse à ses électeurs une profession de foi qui est une nouvelle chanson, et non la plus mauvaise : Si j’étais votre député, — ûhé! ohé! qu’on se le dise! J’ajouterais « Humanité » Aux trois mots de notre devis.c... Au lieu.de parier tous les jours Pour la république ou l’empire, Et de faire de longs discoure, Pour ne rien dire, Je parlerais des petits fieux, Des filles-mères, des pauvres vieux Qui, l’hiver, gèlent par la ville... Ils auraient chaud, Comme en été, Si j'étais nommé député, A Belleville Voilà qui est très bien parler, et si la musique et les paroles de Bruant devaient faire ce mira cle, il faudrait voter tout de suite pour lui. Car le chansonnier est affirmatif : lui élu, les vieil lards auront un asile et ne mourront plus de faim, les filles-mères, les enfants auront de belles crèches, et les yeux de ces chérubins ne seront plus rouges d’avoir pleuré. Qui pourrait ne pas être entraîné par de semblables perspec tives? .On, avait parlé tout récemment de la décadence de la chanson ; mais il me semble, au contraire, que jamais le» chansonniers n’ont été plus en honneur. L’un d'eux n'a-t-il pas représenté une circonscription électorale pendant la dernière législature? S’il est réélu, Bruant ira s’asseoir & côté de lui, tout prés de Clovis Hugues, qui de...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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