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Le Soleil, 12 février 1888

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Le Soleil
12 février 1888


Extrait du journal

A OU LAJAITE ? Les députés qui n’ont pas voulu pren dre en considération, il y a quelques jours, une proposition de M. Liais, dé puté de la Manche, relative à l’établisse ment de réfectoires pour les ouvriers, dans l’arsenal de Cherbourg, ne savent bien probablement pas de quoi il s’agit. Savent-ils seulement ce que c’est que les ouvriers des arsenaux? C’est douteux. S’ils le savaient, ils ne douteraient pas de la légitimité parfaite d'une pareille réclamation, et lui -donneraient satisfac tion immédiate. Les ouvriers des ports, et je parle surtout des ouvriers de Cher bourg, puisqu’il est en particulièrement en jeu, dans la circonstance, demeurent très loin de la ville et de l’arsenal. Ils ar rivent le matin et repartent le soir, en bandes nombreuses, regagnant leurs do miciles éloignés. Seulement, le matin, ils arrivent avec leurs provisions de la journée, conte nues dans des musettes ou dans des fi lets qui, le soir venu, sont vides. Ces ou vriers ne sont pas riches, tant s’en faut, et leurs salaires ne sont pas comparables à ceux de l’industrie privée ; mais ils s’on contentent, réclament bien rarement et pensent à la petite pension de retraite qui leur sera allouée au bout d’un nom bre déterminé d’années de service. Voilà surtout ce qui les attire et ce qui les re tient. Le confortable leur manque assu rément, mais, dans un pays comme ce lui de Cherbourg, où la vie est relative ment peu chère, ils se tirent d’affaire, en logeant à des distances considérables, quelquefois cinq ou six kilomètres, qu’il leur faut faire, matin et soir. Mais, entre les deux étapes, il faut manger, et les ouvriers de l’arsenal n’ont point de fourneaux pour réchauffer leurs aliments, et pas d’abris où ils puissent les manger. L’abri, on en conviendra, ne coûterait pas cher; la dépense une fois faite, il n’en serait plus jamais question, et, pour le reste, du charbon ou du coke suffirait. La Chambre n’entend point cela; elle suit, presque imperturbable ment, la commission du budget, dans ses rognures ineptes, et l’approuve, quand il s’agit de ces petites économies fâcheuses qui, dans le gouffre de la dé pense, ne servent à rien. Elle est admira ble, cette Chambre qui, lorsque des hom mes courageux viennent jeter, du haut de la tribune, des cris d’alarme patrioti ques, au sujet de l’état précaire de notre flotte militaire, se voile la face et pro teste, en s’écriant : « Non, non, pas cela! On ne dit pas, on n’a pas le droit de dire ces choses en face de l’étranger! » Cette pudeur intempestive est vrai ment étonnante. Mais, si les choses sont ainsi, la faute à qui, je vous prie ? Est-ce que ce pays a jamais hésité à payer, quand on lui a réclamé de l’argent pour sa défense ? Je ne le pense pas. Est-ce sa faute, si cette défense est incomplète, et s’il a, en ce moment même, le triste spectacle d’un ministre, homme de mer, homme du métier, obligé de tergiverser avec cette commission du budget qui taille partout, rogne sur tout, et qui n’a pas l’air de se douter que si la guerre éclatait demain, les arsenaux maritimes n’ont pas de matériel naval convenable à confier à un personnel tel qu’il n’en est pas au monde, — il est permis de le dire sans chauvinisme, — de plus ins truit, de plus remarquable et de mieux au fait des progrès accomplis dans la marine de guerre. Ce personnel, il est là, toujours prêt, aguerri par de récentes campagnes, ayant, dans ses chefs qu’il connaît et qu’il apprécie, une confiance illimitée. Quant aux navires, nous venons de voir ce qu’il en coûte d’efforts, pour en faire entrer trois en ligne, c’est-à-dire pour former une escadre depuis longtemps nécessaire; tandis que depuis des mois, sinon des années, des vaisseaux de guerre de premier ordre et tels qu’une fois achevés il n’y en aura pas au monde de plus perfectionnés, le Hoche, le Marceau, le Brennus, etc., seraient, en cas de con flit, ce que l’on appelle matière inutile. Pas d’argent! Eh bien, qu’en fait-on donc de l’argent que le pays n’a jamais mar chandé pour sa défense? Où va-t-il, qu’on n’en trouve même pas pour cons truire un abri où de pauvres gens, labo rieux et dévoués, puissent prendre leur repas du jour, sans craindre le froid et les intempéries ? La République française, sans maté riel naval, avec des marins et des offi ciers comme elle en possède, c’est une honte. Mais ce n'est pas la première, et il en viendra encore d’autres. Dans la guerre telle qu’elle sc fait aujour d’hui, la valeur personnelle compte en core, et fort heureusement pour quelque chose; mais, c’est sous la condition for melle d’un matériel qui ne laisse rien à désirer. Or, on n’entretient pas un maté riel sans argent; le ministre de la marine sait cela mieux que personne, et il n’a cependant pas su trouver le moindre ac cent d’indignation pour rappeler au de voir patriotique cette commission du budget qui, comme tous les prodigues et les gaspilleurs, fait des économies de bouts de chandelle. Il me semble qu’un langage fier, digne de l’heure où nous sommes, aurait fait tressaillir jusqu’aux fibres, ce pays qui n’est pas fait pour entendre ces calculs mesquins d’intendants qui se lamentent,...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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