Extrait du journal

missaire ne savait, pas trop s’il devait le relâcher ou le garder à sa disposition, comme on dit en termes de métier? Il y a vraiment là de quoi faire réfléchir les hommes de bonne intention et de bonne volonté qui, dans l’idée de rendre un ser vice, ne craindraient pas de s’exposer à de tels dangers. Supposez, par exemple, qu’en passant, sur le tard, le long des berges du canal Saint-Martin, vous aperceviez, à une cer taine distance, un groupe de rôdeurs oc cupés à jeter à l’eau un passant et s’en fuyant, à votre approche, après avoir fait leur coup. Votre première idée sera de courir au bureau de police pour avertir le commissaire, mais elle sera bientôt cor rigée par une seconde : « Eh, eh I vous direz-vous, tout cela c’est bon, mais qui peut m’assurer, d’abord, qu’on ne va pas me prendre pour l’auteur du forfait; en suite que M. le commissaire est visible. Dans le premier cas, il peut m’arriver une foule de désagréments que l’on devine, avant que mon identité soit établie ; dans le second, j’ai des chances pour que le magistrat me prie de l’attendre un peu trop longtemps à mon gré. Ma foi 1 ren trons ; c’est ce qu’il y a de plus simple et de plus sûr à faire. » Mais, tout ça n’est encore rien, et ce pauvre garçon s’est vu en butte à de bien autres désagréments. Après avoir passé une nuit au poste, ou dans les environs du poste, en tout cas hors de chez lui, voilà que son aventure se propage avec la rapidité de l’éclair. — « Un tel, vous savez, il a des accointances avec la po lice. — Ah bah ! — Tel que je vous le dis. Il paraît qu’ayant appris quelque chose, au sujet du crime de la rue Labat, il n’a pas voulu garder çà pour lui, et qu’en un mot, il a mouchardé. » Mou chardé ! le mot a été dit, et le dénoncialeur a subi les conséquences de son igno minie. Toutes les mains se sont retirées devant la sienne ; toutes les têtes se sont détournées. Pensez donc, un mouchard ! Puis, les gros mots sont venus. Ces pau vres gens qui ne sont pas très coupables, par la raison que le discernement leur manque, n’ont pas compris autre chose sinon que leur camarade a fait une dé marche chez le commissaire de police c’est-à-dire qu’il a eu des rapports avec la police, c’est-à-dire qu’il en fait peutêtre son métier; et, de c’est-à-dire en c’est-à-dire, voilà un brave garçon re poussé, mis en quarantaine, désigné au mépris des compagnons, flétri pour la vie. Donc, de par le point d’honneur de ces singuliers camarades, il y a félonie à mettre la police sur les traces des plus dangereux criminels, et c’est faillir que de contribuer à débarrasser la rue d’un misérable ou de plusieurs qui peuvent recommencer, le lendemain, leur coup de la veille. En vérité, on croirait rêver I Mais non, c’est bien cela; c’est ainsi qu’on pense dans un monde où l’on ne raisonne guère ses impressions, où tout est affaire d’habitude et d’exemple, où le camarade, qui ose fournir à la police un renseigne ment précieux sur d’affreux scélérats, est traité exactement comme s’il dénonçait un des siens pour affaire politique, ou comme s’il faisait d’habitude le triste métier d’espion. Et ces hommes sont très sincères, n’en doutez pas. Gela prouve tout simplement une chose, c’est que leur éducation laisse beaucoup à désirer, qu’ils abusent de leur intelligence avant de savoir s’en servir, et que, malgré les éloges et les flatteries dont ils les abreu vent, leurs adulateurs oublient totalement d’éclairer leur lanterne. Jean ale Nivelle....