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Le Soleil, 20 octobre 1884

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Le Soleil
20 octobre 1884


Extrait du journal

RÉCLAMES ET CONCOURS Nous traversons une époque de con cours ; on en met partout ; mais il n'y en pas beaucoup de sérieux. Les uns meu rent dans l'œuf, comme celui des bébés ; les autres n’aboutissent pas toujours ; mais on en invente quand môme, et les organisateurs ne manqueront jamais pour ces inoffensives et inutiles entre prises, quand elles ne sont pas ridicules. Cela se comprend. Pour qu’un concours réussisse, il faut qu’on en parle ; il n’y aurait pas de concours possible sans ré clames, et la réclame, qui donc, à l’heure où nous sommes, ne courrait après cela? Il faut à chacun son petit quart d’heure do célébrité. Voir son nom imprimé dans un journal, que de braves gens se damneraient pour cela I Je pense que la réclame est une des choses qui ont le plus contribué à cette irritabilité nerveuse qui caractérise au jourd’hui les artistes et les gens de lettres. Jamais il n’y eut ici et là, plus de susceptibilité. Entendre parler de soi, chercher les moyens d’en faire parler, au besoin mendier humblement quel ques lignes, voilà ce qui se passe tous es jours, et c’est pour ainsi dire le seul moyen d’arriver. Que de platitudes pour en venir là, et que de rancunes soigneu sement conservées à l’égard de ceux qui vous oublient ou, sans vous maltraiter, vous disent tout simplement ce qu’ils pensent I Aujourd’hui, il y aurait un ro man à écrire sous ce titre : Jérôme Paturot à la recherche de la réclame. Et elle est nombreuse la famille Paturot, sans compter les neveux et les cousins; si nombreuse qu’elle en de vient absorbante. Réclame ici, réclame là, réclame partout! Le monde lui-même y vientet les fêtes cotées ont leurs ré clames particulières, qui ne sont ni les moins recherchées, ni les moins im plorées. Derrière les œuvres de bien faisance, il y aaussi de la réclame. Je ne parle pas de celle qui propage l’idée dr l’œuvre, la fait connaître, mais de la réclame personnelle, recherchée avec tant d’insistance, par les gens qui s’en occupent. Etre désigné, c’est une for tune sans prix. Je ne puis songer à ces concours qui se succèdent, sans voir aussitôt la réclame qui se dresse, les noms qui reviennent à tout bout de champ, ceux des fondateurs, des orga nisateurs, des secrétaires, de tout le grand et petit personnel qui se remue autour d’une affaire. Et quand viennent les séances annuel les, c’est là qu’il ne faut pas manquer le coche 1 Chacun est à son poste, aussi en évidence que possible, faisant l’œil en coulisse aux journalistes qu’on aperçoit dans l’assistance, et avec lesquels il est de toute nécessité momentanée de se montrer gentil et galant. La petite fête terminée, et pour bien mettre tous les atouts dans son jeu, on passe, dans les bureaux de rédaction, muni d’une petite chose toute faite, avec prière très hum ble d’insérer, et, le lendemain, tous les kiosques sont mis à sac. La douce ré clame y est-elle ? Va-t-on goûter l’inef fable bonheur de lire son nom dans les feuilles publiques? Et alors, ce sont ou de douces surprises ou de cruelles dé ceptions, sans compter les imprécations à notre adresse, quand la nouvelle ap portée a été tronquée, arrangée, surtout dépouillée de la kyrielle de noms dont la plupart sont sans signification pour le public. Eh bien, il y a de cela, dans tous ces projets de concours, qui avortent ou qui réussissent. Pas moyen de parler d’un concours, sans dire un mot de ceux qui l’organisent, sans au moins citer quelques noms. En Amérique, on a vu tout récemment, paraît-il, un concours d’hommes gras. Je serais bien surpris si les journaux transatlantiques n’a vaient pas inséré, au moment, réclames sur réclames, pour annoncer que des docteurs avaient imaginé un spécifique destiné à faire tomber la graisse. De même, si le concours de bébés avait eu lieu, à Paris, nous aurions bientôt vu apparaître les plus élégants hochets, les meilleurs biberons, tout ce que l’on peut imaginer pour l’usage des enfants, sans compter les jouets et le reste. J’i magine même que pour le concours de beauté, institué en l’honneur du sexe faible, et dont le projet seul est entouré déjà de pas mal de réclames nominales, un autre truc surviendra. Ce sera le truc des grands couturiers et des grandes couturières. Car on ne peut pas penser que les personnes expo sées aient pour tout costume, celui qui était en usage dans le paradis terrestre. Alors, vous voyez d’ici les conséquences forcées : un beau costume approprié à un beau corps, la description de la toi lette qui ne manquerait pas de survenir, après celle do la figure, des épaules, des cheveux, etc., de tout ce qui se laissera...

À propos

Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.

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