Extrait du journal
En droit, îe suffrage universel existe en France. Logiquement, par consé quent, la majorité de la Chambre des députés devrait représenter la majorité des électeurs. Logiquement, les déci sions parlementaires qui engagent la France dans des questions vitales, de vraient être prises par un chiffre de vo tants représentant un chiffre d’électeurs égal à plus de la moitié des électeurs inscrits. En fait, ce n’est pas ce qui arrive. Par îles éliminations successives qui se pro duisent, soit parmi les électeurs, soit parmi les députés, le sort de la France se trouve décidé, dans les occasions les plus graves, par un nombre de votants qui, au lieu de représenter la majorité des citoyens français, n’en représente le plus souvent que la minorité. C’est ce que M. Pernolet, ancien député à l’Assemblée nationale, vient de démon trer, chiffres en mains, dans un très in téressant article publié dans une revue mensuelle intitulée la Représentation pro portionnelle. M. Pernolet est républicain ; mais différent en cela de beaucoup d’autres républicains, il prend la République au sérieux. Il veut qu’elle soit le gouverne ment du plus grand nombre. Il constate qu’en France elle est le gouvernement du plus petit nombre. En effet, sur dix millions d’électeurs inscrits, il y a environ 30 0/0, soit trois millions, qui s’éliminent eux-mêmes en ne votant pas. C’est le grand parti des abstentionnistes. Puis, les 7 millions de votants se trou vant répartis en petites circonscriptions dont chacune est appelée à élire un seul représentant, il en résulte que chaque circonscription se divise en «leux camps et que l’élu représente, non pas tous les électeurs de la circonscription, non pas tous les votants, mais seulement la majorité de ces votants, majorité ab solue si l’élection a lieu au premier tour de scrutin, majorité relative dans bien des cas, lorsque l'élection a lieu au se cond tour. Or ces majorités de votants, majorités relatives ou absolues, ne sont presque jamais la majorité des inscrits. Si l’on additionne les chiffres de toutes les majorités absolues ou relatives qui ont élu en 1881 les 559 députés dont se compose la Chambre actuelle, on arrive, d’après le calcul de M. Pernolet, à un total de A,500,000 électeurs. La Chambre des députés représente donc effectivement et réellement 4 mil lions et demi d’électeurs, sur 10 millions d’électeurs inscrits. File représente moins de la moitié des inscrits. Ce n’est pas tout. Une fois formée, la Chambre se divise en groupes. Un ou plusieurs de ces groupes, plus puis sants, plus nombreux que les autres, forment ce qu’on appelle la majorité. Or, cette majorité n’est, le plus sou vent, qu’une majorité apparente, un trompe-l’œil. Ici, laissons la parole à M. Pernolet lui-même. Nous allons voir, par des faits précis et des chiffres sai sissants, à quels résultats singuliers on arrive avec le système de l’élection par petites circonscriptions tel qu’il est au jourd’hui pratiqué : Sur 550 députés dont notre Chambre se compose, 140 seulement, soit 26 0/0, ont ob tenu les voix de la majorité des électeurs inscrits dans leurs circonscriptions; ils les ont obtenues avec 1,471,747 suffrages, c’està-dire avec le septième au plus de 10,300,000 électeurs environ qui forment notre corps électoral. Par conséquent, les trois quarts de nos députés ne représentent qu’une minorité du corps électoral de leurs circonscriptions, souvent de un tiers à un quart, quelquefois moins, en cas de ballottage. D’autre part tandis que parmi nos 559 dé putés, on en trouve 135 qui ont réuni 1,614,339 suffrages, soit moyennement 11,958 par dé puté, il en existe 135 autres sur les mêmes bancs qui jouissent individuellement des mêmes droits, bien qu’ils n’aient obtenu que 645,205 suffrages, soit 4,779 moyenne ment pour chacun d’eux, c’est-à-dire deux fois et demi de moins que les députés du premier groupe. Voilà donc, rien que pour moins de la moitié de la Chambre, près d’un million d’électeurs actifs, ayant pour eux l'autorité do circonscriptions de premier ordre qui, à un moment donné, peuvent sc trouver anni hilés, sacrifiés par un vote contraire de re présentants d’un nombre d’électeurs consi dérablement moindre. Joignez à cela que dans la Chambre comme parmi les électeurs il sc produit presque invariablement un nombre con sidérable d’abstentions, principalement dans les questions les plus graves, cer tains députés craignant, en pareil cas, d’engager leur responsabilité. 11 en résulte que les questions dont nous parlons sont tranchées le plus sou vent par de soi-disant majorités de 250 députés, quelquefois même de moins que cela : il y a eu un vote légalement valable qui a été émis par 210 députés seulement. Qu’on fasse le compte des électeurs réellement représentés par ces 210 ou 250 députés. On verra que c’est en général le quart dos électeurs inscrits qui décide du sort de la France. Il faut que tous les bons citoyens, sans distinction de partis, cherchent un re mède à cet état de choses regrettable. Il n’est pas possible d’admettre que 2 mil lions et demi d’électeurs, trois millions au plus, fassent la loi à 7 millions d’élec teurs. De deux choses l'une : ou il faut sou...
À propos
Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.
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