Extrait du journal
AU JOUR LE JOUR DOLÉANCES DE LYCÉENS Des êtres malheureux, en ce moment, ce sont les élèves de nos lycées. Ceux de province qui sont à Paris ne peuvent se faire à l’idée de quitter la capitale pour réintégrer le giron uni versitaire juste à la veille de l’arrivée du tsar. L'un d’eux me contait hier ses doléances. « — Comment! me disait-il, le cœur très gros,on ne cesse de nous parler des merveilles de cette solennité, de nous décrire le spectacle qu'offrira Paris pendant quatre journées, et vous pouvez penser si ces détails piquent notre curiosité. Mais, surtout, nous avions l’espérance de voir le jeune et gracieux souverain qui vient nous visi ter avec l’impératrice de Russie. C’était là une aubaine qui peut ne pas se reproduire de long temps. Elle constituait pour nous un de ces souvenirs qui comptent dans la vie d’un homme. Nous partirons donc de Paris très chagrins, mal disposés pour notre travail. Là, vrai, c’est cruel, et l’on aurait pu, quoi qu’on en dise, pro longer les vacances d'une dizaine de jours. » De mon mieux, je cherchai à réconforter mon rhétorieien: « Cher ami, il faut bien songer aussi aux études. Dix jours, mais c’est énorme, et comment rattraper ensuite ce temps perdu ? Le ministre de l’instruction publique n’aurait pas mieux demandé que de donner cette satis faction aux élèves de l’Université, au personnel du corps enseignant, mais, dans sa circulaire aux recteurs, il a fait connaître ses raisons : elles sont sérieuses. Tout retard compromettrait peut-être votre année scolaire. » Je dois dire que ces explications ne produisi rent aucun effet et que la perspective même d’un jour de congé pour fêter la venue du tsar ne consola pas mon lycéen. Et en le voyant si contrarié, je songeais qu'il allait, lui, et ses ca marades, s’en aller dans de bien mauvaises dispo sitions. On ne se retrouverait pas au lycée avec le même entrain; les esprits s’en iraient du côté de Paris et le travail des premiers jours s’en ressentirait. De toute façon, la semaine de ren trée sera sacrifiée. Pour les lycées de Paris, les inconvénients ne seront pas moins grands Quantité de lycéens qui sont chez leurs parents en province sup plieront ceux-ci de les garder quelques jours de plus. A quoi bon revenir, puisque huit jours après on aura peut-être deux ou trois jours de vacances. Mieux vaut attendre le retour du calme pour reprendre les études qui seront passable ment troublées parles échos du canon, les bruits de la foule arrivant jusque dans les salles de classe, les cours de récréation et les dortoirs. De son côté, un lycéen de Paris m’adresse une petite lettre, écrite de bonne encre, dans laquelle il décrit à l’avance les douleurs auxquelles lui ef ses camarades vont être condamnés pendant ces quatre journées : «Quoi! tout Paris sera dehors, il y aura des feux d’artifice, des réjouissances splendides auxquelles tout le monde prendra part, excepté nous. Pour travailler dans ce milieu enfiévré, il faudrait avoir un dédain absolu des choses de notre pays qui n'est pas de notre Age. Intervenez donc pour nous, monsieur, s’il en est temps encore, car à « la boite ». mal gré nos bonnes dispositions, nous ne pourrons rien faire. Tandis que dégagés de toutes prç'QçCupations, nous « turbinerions » comme des en ragés. » Je me garderai bien d’ajouter rien à ces do léances de lycéens «le Paris et de la Province. Le sentiment unanime qui les inspire pourra toucher ceux qui ont charge de leur âme. Tout ce que je me permettrai de dire, c’est que peutêtre, lorsque, avec une certaine rigueur, on a coupé court aux illusions qu’ils pouvaient se faire, on n’avait pas pensé à ces objections des intéressés. Le fait est que leur demander de rester indifférents quand tout le monde sera dans les rues, ou qu’au loin on s’arrachera les récits de la réception «lu tsar, c’ost tout au moins excessif. C’est exiger des enfants de faire sans murmurer un sacrifice que les hommes mûrs n auraient pas le courage de subir. Et pour finir, encore un mot. Dans cette jour née unique de congé, ne craint-on pas que pour tout voir, ne rien perdre du spectacle,ces lycéens...
À propos
Fondé en 1873 par Édouard Hervé, Le Soleil était un quotidien conservateur antirépublicain. Avec son prix modique, il cherchait notamment à mettre la main sur un lectorat populaire, audience qu'il n'arrivera toutefois jamais à atteindre du fait de ses orientations politiques. Le succès du journal fut pourtant considérable à une certaine époque, tirant jusqu'à 80 000 exemplaires au cours de l'année 1880.
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