Extrait du journal

Le Conseil municipal de Paris observe la résolution qu’il a prise de n’avoir plus de rapports avec la préfecture de police. Cette situation devait faire l’objet d’une interpellation de M. Després, puis d’une question de M. Jonnart, qui ont été ajournées à la discussion sur le budget du ministère de l’intérieur. Il est urgent que cette affaire soit réglée. La police nous coûte cher. Une aug mentation récente de deux millions et demi sur le traitement des agents va mettre en déficit le budget de Paris. En avons-nous pour notre argent ? M. de Polignac, autrefois, crut qu’il suffisait de montrer un bonnet à poils aux citoyens pour les intimider ; il se trom pait: il en fut rudement puni. Aujour d’hui, les bourgeois et la plupart des amis de l’ordre croient qu’il suffit d’habiller eu sergents de ville un certain nombre d’individus quelconques pour que la pro priété soit protégée, la vie humaine res pectée, la société sauvée : c’est encore une erreur. Une bonne police est assurément une sauvegarde, mais une mauvaise police est une cause de périls très sérieux. Or, des grosses bottes, des vieux coupechoux, des revolvers et beaucoup de bru talité ne constituent pas une bonne po lice ; la nôtre, qui ne possède que ces at tributs, est mauvaise. Non seulement elle remplit très mal son devoir de protection matérielle, mais encore elle travaille à développer le désordre moral. Au point de vue de la sécurité maté rielle, on n’a, pour être fixé, qu’à suivre les faits divers des journaux; le nombre des attentats criminels qui sont commis quotidiennement est bien moins inquié tant que l’impunité dont ils sont souvent assurés, et que la facilité avec laquelle ils ont pu s’exécuter. Tout a été dit làdessus cent fois. Quant aux causes, les Parisiens que leurs professions obligent à parcourir les rues de la capitale pen dant la nuit les soupçonnent un peu; le recrutement et la discipline des agents sont jugés, quand on surprend leurs rap ports avec la population malfaisante qu’ils ont l’air de surveiller. Dormez tran quilles, allez, bonnes gens, vous êtes bien gardés ! La police, en second lieu, travaille à développer le désordre moral. Qu’on se rappelle un instant les indiscrétions d’un ancien préfet, et toutes ces histoires d’agents provocateurs chargés d’organi ser de petites émeutes, des complots ou des tentatives anarchistes, pour procurer à leurs chefs et aux ministres le mérite d’une fausse vigilance. Quel est l’effet de pareilles manœuvres sur les gens qui en sont les dupes et les victimes? Jusqu’où se propage l’action des doctrines que les mouchards ont prêchées pour amorcer leur piège? La police joue avec le feu, et les bourgeois seront brûlés. Quand le mal est fait, on se donne la gloire de le guérir : et la façon dont on applique le remède est encore une autre cause du mal. La violence dans la répres sion, que les naïfs regardent comme un signe de force, est une dangereuse ma ladresse. Les magistrats correctionnels eux-mêmes en ont convenu dans le pro cès Baudin, où les considérants de leur jugement ont fait de la police la véritable condamnée de l’affaire. Les coups de poing et de pied distribués aux passants, les coups de revolver tirés sur la foule (à Saint-Denis, par exemple), le « passage à tabac v dans les postes, ne terrorisent pas les fauteurs de désordres, mais les exaspèrent, et, — ce qui est pis, — don nent à leurs révoltes comme une excuse, un semblant de légitimité....