Extrait du journal

Les Allemands, à ce que l’on dit, ne sont pas un peuple gai ; ils n’en ont pas du moins la réputation, et nous nous plaisons à les voir gourmés, la main dans le rang ou bien à la visière de la casquette, et riant par ordre, avec en semble et mesure. E11 outre, comme tous les gens d’esprit morose, ils n’aiment pas ceux qui s’épanouissent et ne croient pas que les peuples sont mis au monde pour avoir constamment le petit doigt sur la coulure de la culotte. Entre nous et les Allemands, il y a de telles différen ces de caractère que les voisins n’étaient pas faits pour s’entendre. Les ^étrangers à la querelle le savent bien, mais quoi qu'ils nous trouvent plus aimables, ils sont tellement hypnotisés par le fluide de la force*triomphante, qu’ils réservent toutes leurs avances pour les gens gourmés. Entre temps, cependant, ccs hommes impeccables et qui ne sc trompent ja mais, commettent de ccs étourderies vé ritablement étonnantes de la part de gens réfléchis; mais cela 11e tire pas à conséquence et l'Europe les croit encore, quand ils disent, avec le llegmc qui les caractérise, que c’est nous et nous seuls qui troublons la paix du monde. Il y a nombre d'Anglais pour répéter ccs énor mités et pour y croire. A quelques-uns, que j’ai l'honneur de connaître, je di sais, il y a quelque temps ; « Si, par un hasard de guerre, dont nul n’est à l’abri, une puissance quelconque venait à s’em parer de l’Irlande ou du pays de Galles, ou de n’importe quel morceau de votre territoire, est-ce que vous ne seriez pas assez Anglais pour ne pas désespérer de le reconquérir? » La réponse n’est pas commode, j’en conviens, mais à quoi bon provoquer la question? Les Anglais savent très bien qu’un peuple qui s’abandonne est un peuple méprisable, et pas autre chose. Alors, pourquoi voudraient-ils voir, chez d’autres, ce qu’ils répudieraient chez eux? La vérité est que la conquête entre tient des menaces de guerre, et que la guerre n'est pas désirable. Assurément, si nous consentions à tout oublier, la perspective de tranquillité serait évidem ment plus grande, mais j’ai comme une vague idée qu’on nous en estimerait moins un peu partout. Ccs Allemands, du reste, sont adorables, et d’une incon science rare. Ainsi, les voilà qui pleurent toutes les larmes d’encre de leurs jour naux sur les provinces baltiques, c’est-àdire sur les Allemands des provinces baltiques. Ccs braves gens s’étaient fait la douce habitude d'être les maîtres, dans des provinces russes qui ne les aiment guère, d’y tenir un grand nombre d’emplois, en un mot de s'y croire chez eux. Le tsar actuel, moins patient que son père, juge qu'il est temps d'en finir, et il impose, après tant et tant de délais concédés, l'enseignement de la langue russe dans les écoles et l'usage de ladite langue, à l’exclusion de toute autre. De là les cris de paon des journalistes allemands. Hein ! faut-il être barbare pour vouloir être maître chez soi, et pour se décider à appliquer enfin des mesures depuis longtemps édictées, mais dont l'applica tion se faisait avec une extrême pa tience et une extraordinaire longani mité ! Mais nos voisins ne comprennent pas cela ; ils ont sur les yeux un brouillard teuton qui dénature les choses et qui les fait s'égarer en chemin. Comment, vuiià l'empereur de Russie qui veut être maî...