Extrait du journal

On a tout récemment découvert une tour de la Bastille, et depuis Cet instant l’émotion est grande. La Bastille! on ne prononce jamais ce nom impunément, lia forteresse royale est démolie, les pierres cri ont été dispersées entre tous les départements français, et elle est toujours une obsession, un sujet de controverses. Le patriote Palois eut l’heureuse idée de nous conserver une réduction de cette sombre demeure qui permet de se rendre compte de son im portance, de la physionomie qu’elle devait avoir, et grâce à ce souvenir qui eut son heure d’actualité, comme d’autres breloques, on put, en 1889 nous donner une restitution extérieure à peu près exacte de la fameuse prison d’Etat. La tour nouvellement retrouvée est donc pour nous uno vieille connaissance. Toute la question est de savoir mainte nant ce qu’on va faire de cette ruine. La commission du Vieux-Paris, dont le zèle est au-dessus de tout éloge et qui fait de l’excellente besogne, a déjà plu sieurs fois délibéré à ce sujet, mais sans prendre de résolution définitive. Elle ne sait pas si le dernier vestige que nous ayons d’une démolition mémorable doit être conservé à l’endroit même où il a été retrouvé. Il semble que ce soit cette idée qui doit prévaloir, puisque l’on saura ainsi bien exactement où la Bastille s’é levait, ce que beaucoup de personnes peuvent ignorer. Je connais des vieil lards qui vous soutiennent qu’elle exis tait à l’endroit où plus tard on construi sit un éléphant blanc en plâtre qui de vint le refuge de tous les rats d’égout. Mais ces vétérans commettent une er reur, et il suffit de jeter les yeux sur un vieux plan de Paris pour constater que la forteresse était placée à l’extrémité de la rue Saint-Antoine et que des maisons construites depuis recouvrent la grande majorité des terrains qu’elle occupait. N’empêclie qu’on pourrait très bien éle ver la tour subsistante sur le refuge réservé devant le canal aux bureaux d’omnibus et de tramways. Avec quel ques gazons autour et quelques arbres, cela égaiera un peu cette grande place, une des plus importantes de Paris,et dont icependant le décor est si confus et peu en harmonie avec la colonne de Juillet. M. 'Bouvard, qui songe à tout, aurait là une belle occasion d'immortaliser son nom, ‘comme M. Haussmann, en dotant cette belle entrée de Paris de constructions monumentales. En attendant cet embellissement in dispensable, il est permis de faire quel ques réflexions à propos de cette recons truction partielle de la Bastille. Si elle donne satisfaction aux archéologues, aux amis du vieux Paris, elle doit un peu troubler les psychologues. Qui pouvait songer, en effet, il y a quelques années encore,(lue nous verrions relever, même en une faible partie, ce monument jadis abhorré, symbole d’arbitraire et de bon plaisir? On peut même ajouter que si la Bastille tout entière subsistait encore, on jetterait les hauts cris si quelqu’un s’avisait d’en proposer la destruction. Et la commission du Vieux-Paris,la Société des Amis des monuments, présidée par M. Ch. Normand, assigneraient le conseil...