Extrait du journal
En dehors des querelles de parti très claires qui ■ se débattent dans les élections de tous les degrés et qui permettent tant bien que mal d’établir des sta tistiques d’ensemble et de raisonner sur le progrès ou le recul de telle ou telle nuance de parti, il y a des impressions qui dominent tout en de certaines parties de la province et dont en ne se fait nulle idée sur la ligne des boulevards. Si, du moins, on en perçoit l’écho lointain, on ne peut pas s’imagi ner que ce soit une affaire. Il y a pourtant une par tie considérable de la France, toute la région moyenne, où retentit fréquemment un véritable cri de colère : « Les élections en pleine moisson ! c’est à n'y pas croire! » Pour les élections dans les cantons, au conseil général ou au conseil d’arron dissement, cela se reproduit régulièrement tous les trois ans, et ce n’est pas d’hier. Il est ;entendu que ces élections sont faites les deux dimanches qui pré cèdent la session d’août ; on se garderait bien de soumettre les titulaires à la réélection longtemps avant l’expiration de leur mandat ; il serait, d’autre part, illégal de le prolonger. On a été nommé en plein été, on est à bout de mandat en plein été, et c’est en plein milieu de l’cté qu’on est réélu ou rem placé. Il n’y a pas grand’chose à dire à cela ; mais ce sont les électeurs qui ne sont pas faciles à ren contrer dans une région considérable, à cette époque de l’année. En 1881, c’était le comble ; on avait mis en août aussi les élections législatives. C’était donc une gageure ! Les moissonneurs étaient a peu près rentrés chez eux pour voter, mais ils n’a vaient pas eu le temps de s’informer de quoi il était question. Tout ce qu’on avait pu tenter auparavant pour éclairer leurs choix, pour entrer en communi cation avec eux était peine perdue ; la période élec torale n’était qu’un mot. La politique n’a rien à voir en cette affaire ; ce ; n’est pas à dire qu’elle renonce à en tirer profit. Les partis se renvoient la responsabilité ; dans tous les cas, ils la déclinent tous à l’envi. Des élections en moisson, personne ne s’aviserait de soutenir que cela a le sens commun, personne ne le croit dans la contrée. Mais chaque fois, naturellement, c’est le parti le moins éloigné du pouvoir qui a le plus de peine à se défendre. C’est donc qu’il y a eu un cal cul pour écarter du scrutin les électeurs de la cam pagne. Ce calcul-là, de la part d’un gouvernement républicain, serait plus qu’étrange. En faisant l’a nalyse, on trouverait dans les neuf dixièmes des cas que la clientèle inébranlée des monarchistes, le personnel rayonnant autour des châteaux et des presbytères, les infirmes qui ont perdu volonté et indépendance, tout ce qui est embrigadé par la réaction et obéit aveuglément au mot d’ordre, est à peu près sédentaire, tandis que les gens vivant de leurs bras, les travailleurs dans toute l’activité de l’âge, les moins bruyants peut-être, mais les plus solides, les plus inaccessibles des soutiens de la République, sont presque tous rentrés au service inexorable de la terre et souvent exilés de leur ' propre sol, s’il n’offre pas de l’occupation à tous ceux qu’il porte. Il n’y a que trois ou quatre semai nes de moisson dans l’année, et cette période doit procurer aux personnes valides de la famille la moi tié environ des profits de l’année entière. Nulle heure n’est à dédaigner. Des gens qui, en temps ordinaire, n’ont guère d’entrain au travail, se laissent retarder en chemin sous les plus futiles prétextes, ne savent pas ce que c’est qu’un rendez-vous à trois heures près, sont intraitables quand ils sont en moisson, n’écoutent que d’une oreille les appels qu’on fait à leur obligeance ou même à leur humanité. Us ont l’œil sur le ciel incertain et sur le. chariot dont le chargement est loin d’ôtre achevé et qu’on s’est promis de rentrer à la nuit. Pour décider même les travailleurs restés en vue de leur clocher à sacri fier une heure ou deux pour aller prendre part à l’élection d’un conseiller d’arrondissement, il faut que la lutte ait pris un bien vif degré d’animation et que l’on en veuille bien fort à l’un des candi dat, car la sympathie pour l’autre ne suffirait pas à déterminer un si gros sacrifice. Mais c’est un pri vilégié celui qui fait la moisson chez soi ! . Il ne faudrait pas se figurer la Beauce comme un pays arriéré, indifférent aux inventions et décou vertes ; il circule dans ses plaines des moissonneuses mécaniques, etmême des moissonneuses-lieuses. Cela n’empêche pas qu’à l’heure de la moisson il n’arrive des aides de tous les pays : le Flamand avec sa sape, le Picard avec sa faucille, et surtout le plus ancien et le plus fidèle des collobarateurs, le Percheron avec sa faux long emmanchée. La masse des journaliers du Perche émigre en Beauce. Ceux qui sont sur la lisière s’éloignent le moins possible du foyer ; mais ceux qui viennent s’engager du fond du Perche ne marchandent plus sur la distance et s’embauchent pour le fond do la Beauce sans grande difficulté; cela arrive à faire des distances de trente à qua rante lieues sans qu’on y prenne garde. Dans ces cas-là, interrompre la campagne pour aller porter un bout de papier au nom de son meilleur ami, vous n’y pensez pas ! Le citadin qui regarde le chiffre des ballottages se dit : « Comme il faut que la lutte ait été animée ! » Il se trompe souvent de beaucoup. Des ballottages, assez nombreux, ont lieu parce que le conseiller sortant, républicain, n’avait pas de concurrent. On n’a pas cru que cela valût la peine de laisser une gerbe en souffrance, et l’homme in discuté est resté en ballottage avec lui-même. Quel ques-uns doivent un cierge au comité boulangiste; il y a des hommes des champs qui ont laissé la meule en plan et qui sont allés chercher leur carte d’électeur comme ils auraient pris la fourche pour écarter les maraudeurs; c’est ainsi que pas mal de cantons en ont fini, qui sans cela auraient été dé rangés deux dimanches de suite. Il y a en Beauce un proverbe qui est même le refrain d’une des chansons d’Ange Pitou : l’n’ faut qu’un coup Pour assommer un loup. Nos populations rurales seraient, malgré tout, désireuses de faire entrer une fois dans l’esprit de la gent fonctionnaire, qui n’y pense pas assez, que...
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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