Extrait du journal

1er devant cette entrevue serait une lâcheté. Pourquoi se priver d’un plaisir qu’elle n’aurait peut-être plus jamais? Et bravement elle tra versa le petit plateau : du rebord opposé, d’où l’on découvrait toute la vallée et même, par delà les grandes vagues immobiles que dessi naient les monts, un lambeau de la plaine, elle était sûre d’apercevoir le troupeau sur la pente. Elle savait tout au bout une pierre moussue do minant le ravin, où le pâtre avait coutume de s’asseoir, tantôt seul, tantôt avec d’autres ber gers de ces parages. Elle ne tarda pas, en effet, à distinguer le troupeau, qu’elle connaissait bien et elle devina Miquel à l’ombre maigre d’un bouquet de buis. En quelques minutes, dé valant par la pente raide, elle fut près de lui. C'était un solide gars que ce Miquel : brun, hâlé, la face large et bonne, les veux doux, pres que timides, le front trop bas, le nez un peu gros, la lèvre épaisse et rouge avec une mous tache naissante, un menton carré, des épaules larges, des membres robustes avec des attaches puissantes, les traits gros, vulgaire en somme, avec ses grands pieds dans ses larges espa drilles et ses grosses mains calleuses, mais avec un tel air de bonté dans la force qu’on se sentait attiré et gagné quand on avait causé avec lui un moment. A l’ombre des buis qui, derrière lui, tapis saient la roche, il était étendu sur le dos, et tandis que son troupeau, éparpillé devant lui, s’occupait à tondre plus bas l’herbe odorante, lui laissait paisiblement les heures s’écouler dans cet état de demi-sommeil de l’âme dont les esprits rudimentaires, contraints à la soli tude, ne sortent guère que pour assouvir les besoins delà bête. Il contemplait, peut-être sans le voir, le bleu profond du ciel, quand un léger bruit au-dessus de sa tête le tira de sa rêveuse indolence, et alors il aperçut, joliment encadrée de verdure, la tête blonde de Miquette. Il savait qu’elle avait été en danger, il se la figurait maintenant maigre et pâle, et voici que tout à coup il se trouvait devant une Miquette aux joues roses, à la gorge vivante. Ce n’était plus la petite fille souffreteuse et triste, c’était une vraie femme. En trois mois, l’éclosion s’é tait faite, le bouton était devenu fleur. Animée par la marche, un peu excitée par le plaisir, bien sincère, de revoir le pâtre, elle était îà devant lui, souriante, n’osant plus avancer. Et lui, surpris, n’en croyant pas ses yeux, s’éJait arrêté soudain, admirant la métamorphose....