Extrait du journal

La loi Bérenger sert à do biens singuliers usages. L’inspiration première en. était excellente et tout à fait digne de l’homme de bien qui y a attaché son nom : il s'agissait d’arracher l’auteur d’un premier délit à la promiscuité des malfaiteurs d’habitude d’où il risquait. de sortir irrémédiablement crimi nel ; on voulait aussi permettre aux magistrats de tenir compte de la jeunesse, de l’entraînement, d’un moment d’absence et de dire à l’inculpé : « Nous ne voulons pas vous frapper pour cette fois, mais n’y revenez plus, car nous aérions obligés alors de vous reprendre et de renoncer à toute atténuation de peine. Nous verrons si vous saurez vous rendre digne de cette faveur par votre bonne conduite. » Appliquée dans cet esprit, la loi avait une portée sociale et morale incontestable ; elle avait chance de diminuer les récidives et d’obtenir par une indul gence éclairée des résultats qu’une, rigueur impi toyable ■ ne réalisait pas toujours. Par malheur, il est arrivé qu’à force d’en user les tribunaux en ont perdu de vue . la véritable signification. Ils y voient aujourd’hui un moyen commode de se tirer d’em barras dans les cas où les termes impératifs d’une disposition légale ne concordent pas avec l’état d’es prit quelque peu sceptique, il faut bien l’avouer, qui domine en ce moment dans les milieux mô mes où il n’avait jadis aucun accès. Récemment une femme adultère recueillait le bénéfice de la loi qui nous occupe. C’était une façon de dire : il est toujours permis de tromper son mari unè fois, et il n’y a vraiment lieu pour lui de se révolter que si sa femme recommence. Encore la femme courrait-elle objecter, à la séconde incartade, qu’elle n’avait pas cru mal faire puisqu’on ne lui' avait rien fait à .la première. On peut même soutenir, suivant le pro verbe connu, qu’il n’y a que le premier pas qui coûte et qui compte : Quand la borne est franchie, il n’y a plus de limite. En pareille matière, la récidive est en quelque sorte la règle, et le public y attache d’ailleurs beau coup moins d’importance.-Une femme perdue, se dit-il, ne se retrouve guère....