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Le Temps, 10 juillet 1894

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Le Temps
10 juillet 1894


Extrait du journal

de la Chambre. &\ le gouvernement s’est décidé à proposer au Parlement, au nom de la sécurité publique, ces graves résolutions, il n’est pas admissible un seul moment que les informations qu’il a recueillies dans ces dernières semaines, ne soient de nature à en justifier la nécessité. On serait donc mal venu à opposer à cette de mande une fin de non-recevoir pure et simple. Au nom de quel principe, au nom de quel intérêt refuserait-on à un gouvernement libéral, toujours responsable devant les Chambres et devant l’opinion, les armes dont U estime,.apyès réflexion, avoir besoin pour protéger la vie des citoyens et l’ordre public? Serait-ce au nom de la liberté de la presse ? Ici nous protesterions de toute notre énergie au nom de la dignité même de la presse. S’il s’agissait d’une opinion quel conque et de la liberté de l’émettre et de la pro pager, on nous trouverait les premiers à défen dre ce qui, dans une nation civilisée, n’a pas cessé d’être à nos yeux une liberté nécessaire, la première des libertés ^politiques. Mais n’est-il pas temps de faire cesser cette monstrueuse assimilation, laquelle n’est, au fond, qu’une fiction, de la liberté de tuer, de voler, d’incendier, à la liberté rationnelle de parler et d'écrire? Dire qu’il faut.assassiner telle ou telle classe de citoyens, tel ou tel repré sentant de l’autorité ; désigner formellement au poignard le président Carnot, le journaliste'Bandi, tel général, tel député, est-ce une opinion po litique au sens habituel du mot? Et, parce qu’il vous plaira de qualifier d’opinion la liberté du meurtre et du vol, allez-vous faire mettre ces crimes et la provocation directe à les commettre sous. le bénéfice et le couvert de la liberté de penser ? Il ne se trouvera personne, heureuse ment dans la presse elle-même, pour soutenir ‘ une pareille thèse. La vérité c’est que les délits, la propagande et les crimes qu’il s’agit d’atteindre sont quelque 'chose d’essentiellement nouveau dans la politi- . que et dans le journalisme et qu’aucun législa teur, aucun code, âücun tribunal n’a jamais songé à les viser dans aucun texte de loi, par la bonne raison que personne n’était à même de les prévoir. II est donc faux et il serait abusif d’alléguerdans les législations ou les discussions politiques antérieures aucun principe général ou aucun fait particulier dans le but d’atténuer ou deprotéger une prédication criminelle dont les funestes effets n’éclatent que trop ouverte ment à tous les yeux. C’est un mal récent qui a pu grandir sons la protection des lois qui régis sent le journalisme, mais qui n’a rien à faire avec le régime de la presse, un fléau qu’il s'agit d’arrêter au plus vite dans l'intérêt non seule ment de l’ordre social et de la civilisation mo derne, mais dans celui de la République ellemême. Les républicains que les mesures nou velles pourraient faire hésiter dans leur cons cience doivent bien songer à cette conséquence inéluctable. Si la République ne peut mettre le pays à l’abri de l'anarchie,- la République se transformera d’ellc-même en césarisme, car la France ne s’habituera pas aux exploits ni aux menaces permanentes de la secte homicide qui a entrepris de la terroriser. Défendre la répres sion do ce fléau, c’est défendre la liberté et, avec la liberté, les institutions libérales que nous nous sommes données. Laquestionqui se pose n’est donc pas de savoir s’il convient ou non de rendre plus rigoureuses ; lesmesures.de répression employées jusqu’ici contre l’anarchie, mais de savoir si celles que l’on propose seront efficaces. C’est à ce point de vue seulement qu’il pourra être permis de dis cuter les propositions gouvernementales dont nous no connaissons pas d'ailleurs encore le . texte définitif. Mais, en vérité, en les corrigeant, : on ne saurait avoir la pensée de les énerver. La question de juridiction, c'est-à-dire le renvoi de ces délits anarchistes à. la police correction nelle pourrait faire difficulté, s’il s’agissait de délits de presse ou d'opinion; mais il s'agit de tout autre chose ; il, s’agit d’une préparation, d’un commencement d'attentat, d’une campa gne de violer ces et de provocation systématique aii crime ; encore une fois, ceci n’est plus de la presse, et s’il est prouvé, comme cela l’est malheureusement, que la cour d’assises et le jury sont des instruments trop lents et trop lourds pour arrêter promptement et efficace ment cette action criminelle de malfaiteurs pu blics il ne faut pas hésiter à employer d’autres moyens et à faire appel à d’autres juridictions. Qu’on prenne garde, en refusant de livrer ces délits à là police correctionnelle de rappeîerde mauvais souvenirs et de faire songer aux cours martiales. . Une fois cette nécessité d’une répression effi cace posée, il n’en demeure pas moins que le Parlement est tenu d’étudier avec attention et de voter avec sang-froid les mesures qui lui pa raîtront nécessaires. Un point surtout, à notre avis, mérite tou te l’attention de nos législateurs. Moins nous sommes disposés à marchander sur les nécessités d’une répression efficace des provocations anarchistes, plus il importe que soient définis avec précision les délits qu’il s’agit d'atteindre, plus il importe qu’on ne puisse pas tourner contre la liberté même de la firesse une loi dirigée contre tout autre chose. I y aura sur ce point à serrer de près les ter mes, à restreindre rigoureusement les défini tions, à préciser les cas, afin que les pénalités encourues aillent toujours exactement à leur adresse et n’aillent pas autre part. En acceptant et en défendant le principe de là loi nouvelle, nous nous réservons pour notre propre compte d’en étudier les détails et d’en dire à l’occasion notre sentiment. Nous croyons qu’il est possible de faire une loi efficace contre l’anarchie qui ne soit pas une atteinte à la liberté de discussion. En tout cas, ce sont les deux termes du pro...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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