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Le Temps, 10 octobre 1893

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Le Temps
10 octobre 1893


Extrait du journal

de garde ou de patrouille; la population, qui souffra de cet état do choses, supportant les charges qua lui imposent l’envoi de troupes et le ralentissement des affaires ; le mineur enfin, qui commence à sa demander pourquoi il est en grève et comment il en sortira, comment il rattrapera le temps perdu et l’argent envolé, et pourquoi le syndicat n’aboutit à rien après vingt et un jours de grève. Seul, le so cialiste, ùéputé ou non, va et vient, le front rayon nant, semant la bonne parole, parlant peu de la grève et des revendications ouvrières, mais, beau- ■ coup du communisme, du collectivisme, du capita-. lismê, de la révolution prochaine et des infamies gouvernementales, s’implantant dans les villages miniers et supplantant les chefs du mouvement gréviste, n’ayant qu’un but : l’importation des ’ idées, socialistes dans un milieu jusqu’alors réfractaire. , Il faut le dire hautement. La grève n est plus ce qu’elle était il y a huit jours. Le double carnet de paye et l’augmentation des salaires n’existent plus.; ce sont maintenant des questions secondaires, lais sées de côté par les meneurs. Fallait-il qu elles fus sent édifiées sur des bases peu solides pour être abandonnées aussi facilement?... C’est la grève pour la grève, la résistance pour l’amour de la résistance. Nous avons eu jadis le guillotiné par persuasion, nous avons maintenant le gréviste par force et aussi, il faut le dire, par violence. C’est en vain que les agitateurs nient 1 in timidation par laquelle ils agissent sur les ouvriers des mines. Elle existe, elle est toutc-puissanta même. Combien qui descendraient dans les fosses sans cette menace suspendue sur leur tête, non seu lement d’une action immédiate, mais d’une action future, de la part des étemels mécontents de leur village ou de leur coron? Les faits sont là qui la montrent partout, cette peur, qui est la grande auxiliaire du syndicat. . . N’avons-nous pas vu cette semaine des mineurs de Maries assiégés dans leurs maisons par une bande de grévistes dont les exploits ont été jusqu’à briser les vitres et à blesser une femme?... A Auchel, un cabaretier n’a-t-il pas dû se réfugier dans sa cave avec sa femme et ses enfants, tandis qu’on démolis sait sa maison, son crime étant d’avoir laissé les mineurs non grévistes se réunir chez lui avant de se rendre au travail?... A Anzin, à Douchy, à Denain, à Lourches, l’annonce de la descente des mi neurs du Pas-de-Calais avait-jeté un véritable effroi, heureusement calmé depuis, dans la population. Je me rappelle des femmes dans les corons me parlant de vitres brisées, de vacarme à leur porte pendant la.nuit, de menaces contre leurs maris s ils allaient à la fosse. Sans la présence des troupes, tout aurait été en grève dans le Nord. 11 ne faut pas oublier que ce pays est le pays des moulins à vent. On en voit partout, sur toutes les collines, dans toutes les campagnes, avec leurs grandes ailes tournant indifféremment au gré de n’importe quel vent. 11 en est de même un peu du mineur qui, de nature bonnc_ et simple, se laisse guider par celui qui en manifeste l’intention. Il a acclamé les revendications du congrès de Lens, U acclame maintenant les théories révolutionnaires» il acclamera la reprise du travail quand la gêne arrivera et qu’il comprendra^ que faire la grève pour l’amour de la grève est un jeu auquel on se brûle les doigts. L’arrivée de. la phalange _ socialiste a enlevé beaucoup de sympathies aux mineurs, dans la population du Pas-de-Calais et du Nord surtout. Peut-être aurait-il mieux valu s’en tenir aux re vendications premières et _ rester sur un terrain pacifique purement économique. L’intrusion de po liticiens ivest pas faite pour hâter une solution heureuse. Cette grève est d’ailleurs tellement bizarre 1 On ne lui sent pas de base solide sur laquelle elle puisse s’appuyer. On cherche son point de départ et on ne le trouve pas. On essaye de prévoir sa fin et on reste dans le vague. Les bruits les plus étranges circulent sur elle. Les motifs les plus divers et les plus opposés lui sont octroyés. Les uns parlent de dessous mystérieux qu’ils dévoilent tout nas, les autres de combinaisons qu’elle cache. Qui est. dans le vrai?... Personne, peut-être?... Tous, probable ment !... En tout cas, il est un point sur lequel iopinion est presque unanime, c’est celui qui faisait dire à l’un des deux chauffeurs dont je parlais cidessus : « C’est toujours les mineurs qui payeront les pots cassés ! »...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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