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Le Temps, 11 août 1888

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Le Temps
11 août 1888


Extrait du journal

projets des révolutionnaires et des anarchis tes, en dépit des espérances affichées par les monarchistes et les boulangistes, que la Ré publique perdra le bon renom qu’elle s’est acquis en assurant la tranquillité de la rue et la sécurité des relations scfcîales. Le public, à distance, est impressionné parle grossisse ment romanesque des faits, des chiffres, par le luxe de titres à sensation que ne justifie nullement, bien souvent, le texte placé au-des sous. Les gens qui arrivent après s’y être laissé prendre, ne peuvent se défendre de penser à la fable des bâtons flottants. Mais il y a tous ceux qui ne font pas le voyage, jus tement parce qu’il leur apparaît sans attrait. Si l’on songeait un peu plus à ceux-là, on se sentirait souvent moins enclin à perdre la mesure et à faire briller des qualités d’in vention scénique dont il ne serait pas mal aisé de faire un emploi plus judicieux. - — —* — - i La Justice prend la défense du drapeau rouge. Qu’est-ce que ce drapeau?dit-elle. Le symbole d’une opinion. Or, l’expression des opinions est libre. Si j’écris dans un journal que le gouvernement actuel est fait pour in spirer le dégoût, le mépris, etc..., nul n’a de compte à me demander de mon langage. Mais que fait l’anarchiste qui arbore un mor ceau d’étoffe rouge? Il exprime à sa manière son mépris ou son dégoût, et cette manière a même, sur celle du journaliste, l’avantage de ne pas être injurieuse. Voilà pour la théo rie. Quant à la pratique, ajoute notre confrère, dans les pays libres comme l’Angleterre, si quelqu’un essayait d’arracher un drapeau rouge à un manifestant, la police n’inter viendrait que pour protéger celui-ci. Donc, I© cabinet a manqué à tous ses devoirs. C’est, au vocabulaire près, la conclusion de l'In transigeant et de l'Homme libre : la Justice fi nira par faire la paix avec M. Rochefort sur le dos de M. Floquet. Le malheur est qu’il y a beaucoup à re prendre à toute cette argumentation, qui pè che par la base. En fait, il n’est pas exact qu’à Londres le drapeau rouge soit toléré. Lors des troubles de novembre dernier, la police a chargé les porteurs de drapeaux rouges, de drapeaux noirs, de bannières ré volutionnaires; elle s’est emparée de ces bannières et de ces drapeaux, et les a déchi rés. On pourrait citer encore l’exemple de Chicago, où la police a également empêché les exhibitions d’emblèmes anarchistes. Mais, quand bien même la Justice eût été mieux informée, quand bien même la police de Chicago ou celle de Londres eût toujours été pleine de mansuétude en pareil cas, il ne s’ensuivrait pas que la police française dût l’imiter ; car, chez nous, le drapeau rouge a un autre sens et une autre portée que chez nos voisins. Que signifie-t-il en Angleterre, par exem ple? Il constitue une protestation contre l’or dre de choses établi, assurément, mais une protestation vague en quelque sorte, et anonyme. Il est l’emblème des mécontents, l’emblème des révolutionnaires, soit. Mais cet emblème ne représente que des espéran ces d’avenir qui n’ont jamais pris corps. Il n’en est, hélas! pas de môme chez nous, où ce drapeau représente des souvenirs aussi douloureux qu’humiliants. C’est le dra peau d’un gouvernement réel, et d’un gouvernement qui a été en insurrection contre la loi et la volonté nationale. Les manifestants qui le promènent ne sè bornent pas à indiquer d’une ma nière générale qu’ils sont des révolution naires : ils entendent glorifier un passé dont ils souhaitent le retour et que tout ce qü’il y a d’honnête dans le pays réprouve et abhorre. Voilà pourquoi aucun cabinet ré publicain, non pas même celui que présidera peut-être quelque jour M. Clémenceau et dont M. Camille Pelletan sera, selon toute apparence, l’un des membres éminents, ne saurait tolérer l’exhibition du drapeau rouge sur la voie publique, sans manquer à ses obligations envers la République et envers la loi. Nous posons la question assez nettement, ce semble; la Justice aura quelque peine à prouver que si le drapeau rouge est ce que nous disons, il constitue une manifestation inoffensive et légale. Reste, il est vrai, qu’elle prétende que l’on doit faire abstraction de tous ces souvenirs et que rien n’est plus loin de la pensée des révolutionnaires que la glorification de la Commune... Notre con frère ira-t-il jusque-là? Ira-t-il jusqu’à dire que le drapeau rouge n’est, en somme, qu’un lambeau d’étoffe sur un bâton et que tout citoyen a le'droit de se promener dans les rues avec un mouchoir de couleur au bout de sa canne? Alors, nous le renverrions...

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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