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Le Temps, 13 août 1881

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Le Temps
13 août 1881


Extrait du journal

tôt que d’en manquer. La France vient de pas ser dix ans à organiser, on lui fera employer les suivantes à désorganiser. Elle s’est donné une Constitution, on va lui persuader mainte nant de la changer. ■ Ce besoin d’excitants politiques, que l’on con fond si facilement avec le goût du progrès, et qui se retrouve partout où une classe considé rable d’hommes s’occupent en quelque sorte professionnellement des affaires publiques, ce besoin maladif n’est pas la seule chose que nous regrettions dans la campagne de la ré vision. Il nous semble qu’il y a aussi là beaucoup de notre superstition française pour la logique et la symétrie. Il” est tant d’esprits parmi nous qui ne demandent pas à une institution si elle fonctionne bien ; il faut en outre ,qu’elle soit géométrique ment régulière, abstraitement rationnelle. Ce n’est pas à l’usage et par les résultats qu’on la juge, c’est sur le papier et d’après des besoins d’esprit théoriques. Or, il est certain que la for mation du Sénat, avec la composition des col lèges électoraux qui le nomment et la diversité d’origine de ses membres, n’offre pas à l’œil quelque chose de très simple, à la raison quel que chose de parfaitement satisfaisant. Nous savons bien qu’on ne se borne pas à ces questions de principe et qu’on nous oppose les votes par lesquels le Sénat a arrêté quel ques-unes des lois votées par la Chambre des députés. Le dirons-nous? C’est justement là, c’est cette impatience de l’obstacle qui nous in quiète le plus dans la campagne de la révision. Car enfin, si le Sénat est une Chambre de con trôle, il ne paraît ras qu’il soit sorti de ses at tributions. Et si on lui reproche de s’être trompé, si on lui en veut parce qu’il a repoussé des lois très importantes, très nécessaires, ne voit-on pas que cet argument va trop loin ? Où en arriverons-nous si nous ne pouvons rencon trer un obstacle sans chercher à le briser ? A ce compte, les seuls raisonneurs conséquents sont ceux qui demandent la suppression totale du Sé nat sous prétextequelavolonté'populaire,directe ment représentée par la Chambre des députés, ne saurait souffrir ni contradiction ni retards.Quant à ceux qui admettent au contraire l’utilité de ces retards et qui reconnaissent la nécessité d’une Chambre de révision, nous ne comprenons pas qu’Us recourent si vite au remède héroïque d’un changement de la Constitution. Et cela à la veille d’un renouvellement partiel du Sénat qui, selon toute apparence, en fortifiera la majorité libérale 1 Ce sont là des habitudes d’esprit vio lentes, absolues, qui, si elles prévalaient, de viendraient funestes à la stabilité de nos insti tutions. Tel est notre, sentiment sur la révision. La révision ne nous paraît ni justifiée par les fau tes que le Sénat a commises, ni exigée par des vices profonds de l’institution qu’on veut réfor mer. Il n’en est pas moins vrai que les critiques qui peuvent être adressées à la révision et aux révisionnistes sont devenues assez vaines au moment où nous écrivons. La question aujour d’hui est posée, et il n’est au pouvoir de per sonne de faire qu’elle ne le soit pas. On peut continuer à démontrer qu’elle est intempes tive ou dangereuse, on n’empêchera pas qu’au point où en sont arrivées les choses , les débats ne soient ouverts. C’est le propre du ^doctrinaire que de continuer à batailler contre les faits, en leur prouvant qu’ils sont absurdes ; le devoir de l’homme politique est de les reconnaître en leur qualité de faits et de les traiter comme tels. L’avantage de cette disposition, d’ailleurs, c’est de laisser à l’esprit une liberté qui l’empêche de s’exagérer les dif ficultés. Nous taxera-t-on d’optimisme si nous disons qu’il n’y a aucune raison pour se trou bler de l'incident électoral auquel nous assis tons? La question de la révision, en se produi sant, ne peut manquer de faire d’elle-même un départ entre ceux qui entendent agir légale ment en cette matière et ceux qui ont des ar rière-pensées de procédés révolutionnaires. Pour ces derniers, ils ne sont point à craindre ; leur jour n’est pas venu, et on a le droit de croire qu’il ne viendra pas. Quant aux autres, quant à ceux qui sont con damnés par leurs principes à traiter cons titutionnellement de la révision de la Cons titution, ils sont par là même obligés d’y tra vailler de concert avec le Sénat, ce qui nous semble enlever d’avance à la question tout son venin. Le Sénat doit être renouvelé, dans le quart de ses membres, au mois de janvier prochain. Que cette élection ait une couleur révisionniste indiscutable, on peut être certain que le Sénat se sentira saisi de la question et tenu d’en chercher la solution. Que si, au contraire, le corps électoral sénatorial mani feste sa répugnance bu son indifférence, la Chambre des députés aura eu beau prendre des engagements devant ses constituants, elle comprendra que ces engagements n’engagent qu’elle après tout,; et que le débat doit être ren voyé par-devant l’opinion publique jusqu’à ce que celle-ci se prononce, comme elle sait le faire au besoin, de manière àsurmonter toutes les résistances....

À propos

Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.

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