Extrait du journal

-Le procès de Tisza-Eszlar ,suit son cours, sans que les débats aient fait jusqu'à présent beaucoup de lumière sur cette affligeante affaire. Un seul fait est constant, celui de la disparition de la jeune Esther Solymossy; on sait que l'opinion locale l'a expliqué par un meurtre, qu'elle a misa la charge des juifs de TiszaEszlar, en attribuant à ce crime supposé un motif rituel. C'est dans ces conditions que l'affaire est venue devant le tribunal de Nyiregyhaza. Elle a malheureusement dévié de son cours primitif. La passion religieuse et politique, qui dans ces régions primitives s'alimente aussi de motifs tirés du domaine économique et social, s'est emparée de l'affaire. Il ne s'est plus agi de déterminer si Esther Solymossy avait été assassinée et de rechercher les auteurs de ce crime supposé; les haines intéressées ou aveugles qui, dans tout l'Orient européen, s'agitent autour de la race sémitique, n'ont vu dans cette cause qu'un argument en faveur de leurs thèses il apparaît clairement que le but principal de tous ceux à qui la justice s'adresse pour obtenir d'être édifiée sur cette triste affaire est bien moins de faire le jour sur le cas particulier que d'aider à fournir la, démonstration qu'un crime monstrueux a pu être autorisé et même commandé par la religion mosaïque. Ce n'est plus un point de fait, qui se discute devant les assises d'une bourgade hongroise, c'est une thèse historique et théologique, à laquelle, on peut le dire, sont attachés la sécurité et l'honneur d'une population de plusieurs millions d'Israélites, car le verdict du tribunal de Nyiregyhaza retentira, dans l'Europe orientale, bien au delà des limites du royaume de saint Etienne. Le débat actuel porte sur l'identité d'un cadavre qui a été trouvé, il y a plusieurs mois déjà, dans une rivière de la contrée et dans lequel on a prétendu reconnaître celui de la fille Solymossy. Ce cadavre ne portant point de lésions extérieures, si son identité avec celui de la jeune fille disparue était établie, l'accusation tomberait d'elle-même. Malheureusement cette constatation paraît rendue fort difficile par l'état moral de la population au milieu de laquelle se déroule ce drame judiciaire état moral dont on se fera une idée par ce fait que la défense a cru nécessaire de requérir l'autorité de faire connaître publiquement que la sincèrité des témoignages est un devoir sacré, « même envers les juifs ». Quand le cadavre, qui forme la pièce de conviction du procès, fut trouvé dans une rivière, il se trouva des pêcheurs pour affirmer qu'ils avaient été soudoyés par de riches israélites pour jeter à l'eau un cadavre de jeune fille revêtu des habits qu'Esther portait le jour de sa disparition. Les mêmes témoins se rétractent aujourd'hui ou du moins hésitent beaucoup dans leurs dépositions. On n'arrive même plus à s'entendre sur des faits dont la constatation semble pourtant ne devoir offrir aucune difficulté, telle que, par exemple, la couleur des yeux de la victime supposée; selon les besoins de la cause, il se trouve vingt témoins pour affirmer qu'Esther avait les yeux bleus ou noirs-. Ces incertitudes sont d'autant plus étranges que la mère de la jeune fille disparue est assignée par l'accusation; mais cette femme, dont la pauvreté s'est soudain changée, paraîtil, en aisance relative, par suite de la commisération publique, et qui attribue, avec un imperturbable fanatisme, à une inspiration céleste la pensée qui lui a fait désigner les officiants de la synagogue de Tisz.a-Eszlar comme les auteurs du meurtre de sa fille, paraît avoir été circonvenue par des manœuvres de diverse nature, qui ont fâcheusement abusé de sa légitime douleur....