Extrait du journal

et de dentelles, et qui, reposant les spectateurs des noirceurs du drame, accentue par le con traste l’émotion tragique du dénouement. C’est un moment de repos, un utilè intermède, c’est le « ballet» des vieux opéras, destiné à amuser les yeux, à détendre les nerfs. Ce quatrième acte est un des principaux éléments du succès durable de Ruy Blas; il fait que la pièce, qui n’est pas plus belle littérairement et guère plus raison nable que Marion Delorme ou les Burgraves, semble moins monotone et monocorde. Enfin, ces personnages sont, si vous voulez, des fantoches, mais ils ont revêtu, parunphénomène de lente cristallisation, une signification symbolique. Et c’est une autre façon de vivre... Victor Hugo insiste sur ce point dans sa pré face, et pour pallier les imperfections d’une intrigue dont il sentait la fâcheuse incon sistance, il donne une définition, après coup, des personnages de Salluste, de César et de Ruy Blas. Les deux premiers, c’était la noblesse, devenue, par suite de la décadence des mœurs, scélérate ou bohème; Ruy Blas, c’était le peuple, avec ses besoins de justice, de réforme, épris du seul être qui, « au sein d’une société écroulée, représente pour lui, dans un divin rayonnement, l'autorité, la charité, la fécondité ». Le public n’a pas entière ment accepté ces explications ; il en a con servé quelque chose. Il - ne demande pas à l’œuvre l'intérêt qui résulte de la peinture exacte des caractères et des milieux ;, il y goûte une jouissance différente, et tout aussi élevée: le plaisir de voir des figures de légende évaluer dans une atmosphère épique. Ruy Blas incarne non pas le peuple, comme le, voulait Hugo, mais l’aspiration de l’homme vers l’idéal. Chacun n’a-t-il pas, au fond du cœur, un espoir secrètement caressé, qui le soutient et le guide? C’est l’Etoile dont parle Théophile Gautier en une de ses plus nobles pages, cette Etoile qui scintille dans l’infini de nos rêves; elle change de nom : tantôt elle s’appelle ambition réalisée, tantôt amour satisfait, tantôt calme bonheur accompli, mais elle brille pour tout le monde. Nous tendons à l’atteindre ; nous y parvenons parfois ; parfois'aussi, comme Ruy Blas, nous croyons toucher au but chèrement rêvé;, notre effort nous brise, etnous retombons sur la terre, de la hauteur de nos illusions. Cette dispropor tion entré nos forces et nos désirs, la lutte éperdue de notre faiblesse. contre l’inflexible fatalité des événements, ont-elles jamais trouvé plus saisissante expression que l’image fameuse : Je souffre, ver de terre amoureux d’une étoile. Cette antithèse est l’idée mère, la philososopliie du drame, celles du moins que la foule, instinctivement, a retenues. Oui, ce qu'on est convenu d’appeler le postulatum de l’auteur dramatique est excessif dans Ruy Blas. Mais uuand on en a Di'is son parti, on...