Extrait du journal
On s’est beaucoup marié pendant la guerre. Vous diriez que la vie se 'hâte d’avoir sa revanche sur la mort et de prendre des garanties pour F avenir. Gomme aux époques précaires; où ils ne sont pas sûrs dp lendemain, les hommes s’empres sent de réaliser, tel un capital, ce qu’ils regardent comme leur, bonheur. Ils exigent un avancement d’hoirie. Au milieu de tant de foyers détruits et de familles dispersées, mutilées, ils n’hésitent pas à bâtir,-parmi des ruines, .leur nid conjugal. Ils •savent qu’ils ne pourront pas s’y fixer de long temps; ils y passeront, au hasard de leurs courts séjours. Ils n’ignorent pas davantage que les. mau vais destins peuvent l’anéantir. Que leur importe? Du moins, avant de mourir, ils auront eu une belle;part- de jours heureux..Les cœurs résolus ne craignent pas que les liens nouveaux ri attendris sent, leurs'sentiments, et c’est d’un courage plus forme qu’ils affrontent les dangers de la lutte. La patrie a désormais pour eux le visage de la femme aimée. C’est pour elle qu’ils se battent et .pour les espérances qui, un jour, doivent augmenter et en richir la famille française. Ils se battent pour leur compagne et pour leurs petits, présents ou futurs. Dans leur décision, ils sont encouragés et aidés par les jeunes filles. C’est parce qu’elles ont à cœur de s’associer à cette héroïque aventure que ces mariages de guerre ont été si nombreux. Certes, ce n’est pas à eus, j’entends à des unions «ans sé curité,' fragiles, à la meroi des jeux cruels de la destinée, que rêvent d’ordinaire les jeunes filles. Elles aspirent ’à un bonheur durable, et leur cœur n’estaeorsible, à l’aurore de leur vie sentimentale, qu’aux vœux d'amour éternel. Le grand leurre de l’amour humain n’est-oe pas de disposer en sa faveur de l’éternité? Les jeunes couples, d’habi tude, croient que Je temps va suspendre son vol et que la minute d’enchantement, d’oubli divin ne finira jamais. La guerre qui a tout bouleversé, tout détruit riaurait-elle pas èu de prise sur cette illusion? Non, les fiancées de guerre ne sont pas dupes. Elles savent, elles tremblent, mais elles aoordent leur main et offrent leur vie d’une âme forte. La plupart ne sont pas entraînées par le goût du romanesque. Elles voient la réalité en face. L’acte décisif, elles le jugent et l'accomplis sent avec gravite'.H Aussi sont-elles capables de résister aux oon■seils contraires, aux objurgations que leur fa mille, interprète de la sagesse d.es foyers, oppose à leur volonté. Les parents — comme c’est leur devoir —leur représentent les dangers que cou rent semblables unions; ils se sont fait du bon heur conjugal une image qui ne répond pas aux risques déchaînés de l’heure présente. Pour eux, le foyer, c’est la sécurité du lendemain, l’abri sûr, le port tutélaire. Ils ne veulent pas que leur en fant s’embarque en pleine tempête et parte, cou ronnée de fleurs, ainsi qu’une victime pour un sa crifiée,: vers une Crète mystérieuse. La guerre, pour eux, est le Minotaure auquel ils voudraient soustraire leur fille chérie. Mais tes jeunes filles •ne sont pas seulement, en ces années
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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