Extrait du journal

fallait y arriver, il le fallait ! Manquer à cette vocation serait une lâcheté, un suicide; ce se rait faire mentir la nature qui après l’avoir si richement dotée. lui avait mis dans l’âme cet immense désir de succès, d’élévation. Ah ! que de choses elle ambitionnait ! Il lui fallait le rang, l’éclat, la fortune; elle voulait être admi rée, enviée, adulée; elle voulait voir -le monde à ses pieds; ellé voulait régner. Si Méphistophélès avait surgi devant elle, le pacte aurait été vite conclu. Non pas, comme Faust, qu’elle eût songé à demander l’amour. Il lui fallait, bien entendu, le concert d’adoration de la mul titude, sans lequel le succès qu’elle ambition nait ne pouvait exister; mais la rencontre de l’élu qui tient tant de place dans les rêves des jeunes filles ne comptait pas pour elle. Le ma riage, un mariage riche, brillant, magnifique, occupait, cela va sans dire, le premier plan dans ses projets. Quant à la figure ou à la personnalité de celui qu’elle épouserait, elle ne prenait même pas le soin de l’imaginer. Il était dans la partie un pion nécessaire, mais quantité négligeable d’ailleurs. La seule figure qui. importait au tableau, c’était la sienne. Il faudrait d’abord donner à ce joyau le cadre, l’écrin digne de lui : château, toilettes, bi joux, voitures, entourage de choix. Alors vien drait le triomphe, l’apothéose. Elle aurait de: l’esprit; elle aurait son salon; on citerait ses mots; on s’arracherait ses invitations; on s’in clinerait devant son verdict aussi bien pour les choses d’art que pour les questions de modes; les peintres, les sculpteurs se disputeraient le privilège de reproduire ses traits; elle serait le centre de l’élite littéraire et musicale... Dans l’ivresse de son rêve, elle sentit qu’elle méprisait la femme à la mode du type ordi naire dont le bagage se compose de beaucoup de dépenses et d’un peu de chic. Rien de ce qui est intellectuel ne lui demeurerait étranger ; sa vaste intelligence embrasserait tous les genres où l’on peut se signaler à l’admiration, même les bonnes œuvres, car la philanthropie est de mode aujourd’hui ; et elle n’entendait se lais ser dépasser par quiconque... - Comme elle pensait ainsi, dévorant l’avenir avec fièvre, une ombre — d’où venait-elle ? — passa sur le soleil db sa vision. Et quand les ridels viendraient? Quand l’or de ses cheveux serait terni, la neige de son teint dissipée, la fleur de sa jeunesse flétrie? Quelles provisions, ; quelles réserves faisait-elle pour cette échéan...