Extrait du journal
L’ATTENTAT D’HIER Depuis un assez long temps on n’avait guère entendu parler, en ce pays, de la secte anar chiste. Sans doute, l’autre soir, à la réunion du Tivoli-Vauxhall, une bande d’anarchistes avait contribué à la bagarre, mais il n’y a évidem ment aucun lien de connexité entre cet incident et l’attentat d’hier : c’est une simple coïncidence. Par contre, on annonce ce matin que la nuit dernière, devant le poste de la rue des GrandsAugustins, deux individus ont fait feu sur un sergent de ville, heureusement sans l’atteindre : nouvelle preuve de la contagion de l’exemple. Ce qui caractérise l’acte d’Etiévant, c’est qu’il est, en quelque manière, spécialisé : la bombe d’Emile Henry, au café Terminus, devait frap per, au hasard, les consommateurs qui se trou vaient dans cet établissement. Celte fois les coups sont portés avec intention à des gardiens de la paix, non pas que le malfaiteur en voulût personnellement à ses victimes, mais parce que celles-ci symbolisaient, pour ainsi dire, à ses yeux, la défense de l’ordre et de l’organisation sociale. Détail curieux : après sa libération du service militaire, Etiévant avait fait des démar ches pour entrer, en qualité d’inspecteur, dans le service de la sûreté : l’enquête ne lui ayant pas été favorable, aucune suite n’avait été donnée à sa demande. De sorte que, si les choses avaient tourné autrement, les rôles, comme il l’a déclaré lui - même auraient été intervertis ; mais, ne pouvant protéger la société, il s’est résolu à la combattre. Sa biographie fournit, d’ailleurs, des renseignements ana logues à ceux que l’on recueille, d’ordinaire, sur les criminels de son espèce. D’une part de soi-disant études sociales le conduisent à la doctrine et à la prédication de l’anarchie, d’autre part, il est condamné, emprisonné, ne se soustrait que par la fuite , aux châtiments nou veaux qui le menacent; puis, lorsqu’il se voit à bout de ressources et traqué par la police, il essaye de tuer. Ce n’est pas seulement le théoricien de la propagande par le fait; c’est encore et surtout un révolté aigri par les infortunes qu’il s’est lui-même attirées. L’attentat paraît donc, en soi, aussi banal que sauvage et odieux ; mais ce qu’on ne saurait trop mettre en lumière et exalter c’est la bra voure de ces gardiens de la paix qui se sontprécipités sur le forcené, brandissant son couteaupoignard ensanglanté et ont fait si complète ment, si simplement leur devoir ! -Comment ne pas tressaillir d’émotion en lisant les comptes rendus des journaux, en voyant avec quel hé roïque philosophie un de ces malheureux parle de ses blessures : « J’ai sept coups de couteau, dit-il à un de nos confrères, et une balle dans la figure, mais j’ai la: peau dure. Et puis, on ne meurt qu’une fois 1 » Voilà bien la vaillance française dans ce qu’elle a de plus crâne et de plus touchant! Ceux qui, dans la population parisienne, se sont laissés aller par fois à applaudir à des chansons de cafés-con certs où l’on blague les « sergots » ou bien qui ont souri de certaines épithètes que lancent à. leur intention les gavroches de carrefours doi vent bien regre.ttev ces railleries et ces insultes ! Dans des circonstances comme celles-ci on voit ce que sont réellement nos gardiens de la paix et combien ils méritent les éloges qu’on leur décernait récemment, lors de la visite du pré sident de la République à la préfecture de po lice! Et que dire de ce commissaire qui, se ren dant compte du danger que couraient ses hommes dans le poste, se dirige vers le misé rable tenant à la main son revolver fumant, et, à force de sang-froid et d’énergie, finit par en avoir raison ? Quelle différence àperçoit-on en tre sa conduite et celle du capitaine qui, pour entraîner ses troupes, offre le premier sa poi trine au feu de l’ennemi? A coup sûr on ne ménage point à ces braves les compliments, et le ministre de l’intérieur est allé lui-même porter aux victimes, avec les félicitations du gouvernement, des médailles d’honneur. Puis il a fait remettre au commis saire de police une médaille de deuxième classe. Cependant bien des gens penseront avec nous que ce n’est pas assez, et si, après une bataille, le général en chef attache parfois la croix.d’honneur sur la tunique de l’oflîcier qui s’est particulièrement distingué, ne semble-t-il...
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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