Extrait du journal
NOTRE PATRIMOINE ARTISTIQUE Une des règles élémentaires de l'escrime —les adeptes de cet art te savent— consiste à prendre avec « le fort » de son épée « le faible » de l’épée adverse. Pair suite de la dépréciation croissante de notre ' change, un certain nombre, un trop grand nombre do monnaies étrangères, comme dans un assaut d’escrime, maîtrisent et dominent de plus en plus la nôtre. Un de nos amis, entrant, ces jours-ci, chez, son chemisier, demandait le prix d’une très joli© -robe de chambre, dont la soie chatoyante avait attiré ses regards ; « Huit cent cinquante francs, dit le marchand. — Huit cent cinquante francs! s’écrie le client avec un sursaut. C’était presque 1e prix d'une villa avant la guerre: Merci bien, j’attendrai qu’elles baissent! — Vous attendrez longtemps, réplique l'autre. Dans deux mois, elles vaudront douze cents 'francs. Et d’ailleurs,. toutes, celles qui sont là, gaulais pu les vendre, iil y a un instant. Un acheteur américain voulait me les prendre en bloc. Elles sont trop chères pour vous, mais elles lui semblaient, à lui, à très bon marché. » Nous ne voyons aucun inconvénient, tout au contraire, à ce que des Américains achètent ainsi, en vrac, par douzaines, ou par grosses, des robes de chambre ou des robes tout court. Nos chemi siers et couturiers en confectionneront de nou velles. Pour peu même que la demande étrangère ■les y encourage, nous sommes sûrs qu'ils sauront hausser Heurs prix en conséquence. Mais ce que nous verrions, par contre, exporter avec douleur, c’est ce qui, une fois hors de nos frontières, ne pourra jamais plus se remplacer, ce sont nos objets d’art, tableaux, statues, tapis series, meubles, livres précieux, bibelots, tout ce qui constitue en un mot le patrimoine artistique de la France. Ce patrimoine — ce nom seul l'in dique— n’appartient pas exclusivement à ses possesseurs actuels; il est un peu la propriété de tous; il est la parure, un des joyaux de notre pays. ... Un très grave danger le menace en ce moment, sur lequel il est indispensable, quand il est temps encore, d’attirer l’attention du public et même des pouvoirs publics. Une foule d’étrangers s’apprê tent à venir chez nous, les poches pleines d’un or qu’ils ont facilement, abondamment gagné, durant la guerre, alors que notre contrée s’appauvrissait. Us ont beaucoup plus d’argent que nous et cet argent vaut deux ou trois fois plus que lé nôtre. Leur pouvoir d’achat, le buying power, comme disent les Anglo-Saxons, est donc énorme vis-àvis de nous — tout ce qui est à vendre, ils sont en mesure de. se l’offrir, même à des prix qui, fabuleux pour nous, leur semblent à eux très raisonnables. Or, bien des choses sont à vendre, quand on a les moyens de tes payer n’importe quel prix. Le péril est d’autant plus grand’qu’une bonne part de ceux qui détiennent ces objets d’art n’oot pas été enrichis par 'la guerre, tant s’en faut : ils me sont point de nouveaux riches, mais plutôt de nouveaux pauvres! Le besoin peut donc les .pousser à se défaire de leurs bibelots. Quand on vient vous offrir deux cent mille francs d’une tapisserie qui a été payée, il y a vingt ou trente ans, vingt raille, la tentation est, il faut l’avouer, bien forte! Comment parer à ce danger? Comment empê cher l’éxôde de nos richesses artistiques? Une solution simpliste se présente aussitôt à l’esprit. C’est d’en interdire, " par une loi, l’exportation, ainsi que cela » pratique en Italie. Cette solution ne va pas sans de gros inconvénients. Les lois de ce genre, outre qu’elles se tournent assez aisé ment, l’État en a usé et abusé, tous oes temps derniers, et c’est justement cet abus qui a contri bué à fausser notre situation économique. Miais on peut trouver d’autres moy ens, pour peu qu’on mette du zèle à lés chercher. Qn peut faire comprendre aux intéressés qu’ils n’ont aucun in térêt à vendre, attendu que, très vraisemblable ment, le prix des objets d’art véritables ne cessera pas de monter. On pourrait aussi par une orga nisation spéciale, leur permettre d’emprunter sur ces gages précieux. L’Etat enfin, à défaut d’une interdiction d’exporter, peut frapper d’un droit très élevé, presque prohibitif, la sortie des objets d’art. De toutes manières quelque chose est à faire; et il est indispensable de s’en occuper sans re tard! — R. R....
À propos
Le Temps, nommé en référence au célèbre Times anglais, fut fondé en 1861 par le journaliste Auguste Neffzer ; il en fit le grand organe libéral français. Il se distingue des autres publications par son grand format et son prix, trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires. Son tirage est bien inférieur à son audience, considérable, en particulier auprès des élites politiques et financières.
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