Extrait du journal

UNE NOUVELLE LETTREOE M. SAINT-SIENS Nous avons reçu la lettre suivante : 17 novembre 1918. Monsieur le directeur, M. Souday parle d’art, de musique et de poésie, comme si la guerre et ses horreurs n’avaient pas existé. Il y a pourtant quelque chose de changé dans nos rapports avec l’Allemagne, dont il est im possible de ne pas tenir compte., Wagnerafut un grand artiste, mais non un pur artiste, c’est-à-dire dégagé de toute préoccupation en dehors do l’art pur. Il a proclamé dans ses écrits l’intention de faire non pas seulement de l’art, mais do l’art allemand. C’était son droit. C’est le nôtre, et c’est même-notre devoir, de résister à une inva sion qui s’empare des âmes, pour leur substituer l’âme allemande. . N’oublions pas les sirènes, qui .par leurs voix enchanteresses attiraient les voyageurs pour les dévorer. Agréez mes compliments empressés.. b. Saint-Saens, de l’Institut. Certes, il y a — heureusement — quelque chose de changé dans- nos rapports avec l’Allemagne, et il ;én faut tenir le plus grand compte, ainsi que, de la guerre, et de ses horreurs, et de notre vic toire si douce à tous les coeurs français. Mais il en faut tenir compte dans les ordres d’idées où ces grands faits historiques importent au cours ,des choses et renouvellent la face du monde. Ils . n’ont rien changé aux lois de la science, ni à celles de l’art, dont la première est la recherche objective et impartiale du beau et du vrai. Ce qui •était beau et vrai avant la'guerre continue de l’être après la guerre. Nos jugements artistiques et sciénliflques n’en sauraient donc être modifiés. Aussi bien ceux de M. Saint-Saëns lui-même ne le sont-ils pas, depuis l’époque où il était un des premiers pèlerins de Bayreuth et l’hôte de la ■villa Waknfried. Il reconnaît toujours que Wa gner fut un « grand artiste ». Il lui refuse cepen dant la qualité de « pur artiste », parce qu’il a voulu faire non seulement de l’art, mais de l’art allemand. Mais tous les artistes font nécessaire ment l’art de leur race et de leur peuple. M. Saint-Saëns en convient encore, et dit : « C’était son droit. » En définitive, son seul argument et dernier retranchement, c’est que nous avons le devoir de « résister à une invasion qui s’empare des âmes, pour leur substituer l’âme allemande ». Nous aurions ce devoir, en, effet, si le danger signalé par notre illustre contradicteur était réel....