Extrait du journal

ses actionnaires, les fonds de réserve de la société qu’il gérait y sont engloutis. « Je suis -ruiné, vous êtes ruinée, votre fils esjfbuiné,nous sommes tous ruinés ! » Désireux de dissimuler ces pertes, il a falsifié les écritures, dressé des bilans frauduleux... Demain ses crimes se ront avérés; on l’arrêtera; on le traduira en cour d’assises; on l’enverra aux galères. C’est le déshonneur, la bonté, la déchéance, pire que la mort. Peut-être existe-t-il un moyen de repêcher une épave du naufrage. Sa banqueroute aura pour conséquence la miseen adjudication des usines. James pourrait, avec la dot d’Henriette, les racheter à vil prix et refaire une fortune. « Comprenez-vous main tenant pourquoi je pressais votre fils de hâ ter ce mariage indispensable, ce mariage sau veur ? » Mme Aloy écoute, muette de stupeur, l’étrange et formidable récit. Le coupable es saye de la fléchir, de lui arracher un mot de compassion ; il plaide les circonstances atté nuantes : « J’ai péché, mais non par intention ; considérez le martyre que je vais supporter ; soyez indulgente. » Elle le serait davantage si la confession de Guillaume avait été moins prompte, moins foudroyante; si, par avance, et pour en atténuer l’effet, il l’eût entourée de quel ques,précautions (et l’on ne peut s’empêcher de penser que l’extrême brutalité de cet aveu est plus théâtrale qu’humaine, et qu’un homme dans : la situation de Guillaume userait probablement, vis-à-vis de son amie, de plus de ménagements). Elle n’accorde pas le pardon qu’il implore, et se retire sans lui donner la main... Désespéré, il mande un ' sien secrétaire, Etienne Friediger, camarade à la fidélité éprouvée, compagnon des bons et des mau vais jours, et lui. déclare qu’il va se tuer. La scène est pathétique et pénible. Friediger s’ef force dé combattre ce projet ; il a vu le ministre, qui l’a assuré de sa complaisance, qui con sent à seconder discrètement la disparition du criminel et lui Conseille d’aller se terrer en Amérique jusqu’à ce que la prescription soit acquise. Guillaume n’y consent point... « Je ne veux pas m’évader sous un nom d’emprunt; je suis sans doute un vilain monsieur, mais je suis un monsieur. » Il préféré mourir que recourir ' à cet expédient misérâble. Il se châtiera d’avoir été un malhonnête homme maladroit. Froide ment il fait à Etienne ses suprêmes recomman dations. II le charge de remettre à Irène les 300,000 francs de son douaire restés intacts, de lui dire qu’il meurt pour elle, pour diminuer, par une immolation volontaire, l’infamie de sa con duite, « Vivant, je la déshonore ; mourant, j’attipe sur elle la pitié ; on me déchirera un peu moins; on la plaindra. » Etienne redouble de prières et de larmes ; il se heurte à une inflexi ble résolution. « — Ose affirmer, s’écrie Guillaume, au’à ma place tu ne te tuerais pas 1 »...