Extrait du journal

Le père, enorgueilli par l’importance du su jet, prononça lentement : — C’est une étrange histoire... On dit qu’il aimait une jeune fille qui devint son amie; au bout de six mois, elle est tombée gravement malade, de la poitrine, paraît-il ; et pour lui épargner le chagrin de la voir mourir, elle s’est enfuie, a disparu... Je n’en sais pas plus long. — Encore une, murmura Mlle Clarisse, qui n’est pas vulgaire... Il y a de la grandeur dans ce dénouement... Alors, Prosper Thibault ?... ' — Se souvient, regrette, et s’en va tout dou cement dans l’autre monde, retrouver son amie. C’est ainsi. La jeune fille continua son interrogatoire : — Quel âge a-t-il? — Vingt-six ans à peu près, — Il est bien jeune l — Pourquoi ? — Pour rien; pour mourir d’amour, si vous voulez ; à cet âge-là, on refait sa vie. Après un temps, elle ajoutait : — D’où sort-il, votre employé ? — Comment, d’où il sort?... — Qui, sçs parents; sa famille? — Ah ! les ascendants... plutôt pénibles aus si... toujours par ouï-dire. Le père, un musicien raté, qui s’est retiré en province où il cultive sa vigne dans un renoncement. Elle approuva : — C’est bien, cela. Mais alors, votre Prosper Thibault doit être musicien;, lui aussi?... On pçurrait l’inviter... et qui sait? cela le distrai rait peut-être. Supérieur, Louis Isolin sourit : J’y avais songé, mais je désirais que l’idée vînt de toi. —■ Elle est venue. Vous pouvez l’amener, s’il y consent. Le chef de bureau s’indigna tout à fait : — Il ferait beau voir qu’il ne consentît pas... malgré _son chagrin... C’est un honneur que nous lui faisons... Je n’invite pas tout le monde. Mlle Clarisse eut une moue dédaigneuse : -—Allons, ne dites pas cela !... Vous m’en avez amené, des gens, ànosréunionsdulundi!... Combien sontvenus ici! Ilcst vrai que ceux qui sont revenus sont plus rares. — Dame, avoua le père ingénument, tout le monde,n’aime pas la musique, surtout quatre heures durant, de huit heures à minuit, sans un petit entr’acte....